Éloge de la Forêt, quand Patrick Scheyder rencontre Thomas Brail
Le 1er juin 2024, dans le cadre de Nuit Blanche, se produira devant l’Académie du Climat Éloge de la Forêt: un spectacle inédit, plein de poésie, d’humour et d’espoir. Avec une approche sensible et réaliste, il nous amène à imaginer, l’espace d’un instant, un futur plus respectueux des forêts et de l’environnement face à l’imaginaire du béton.
Pour porter cette création originale, le pianiste Patrick Scheyder, fondateur du mouvement de l’Écologie Culturelle, rassemble de nombreux univers artistiques, de la musique avec Lémofil et IMAN, à la performance de l’acrobate Yannis Gilbert. La projection d’images animées en mapping, jouant avec les décors et les objets, sublimera le tout et transportera le public loin de la grisaille parisienne.
Une mosaïque de talents à laquelle s’ajoute la participation exceptionnelle de l’arboriste Thomas Brail, engagé pour la défense des forêts et contre l’abattage abusif des arbres.
A cette occasion, Patrick Scheyder et Thomas Brail partagent avec La fabrique des récits leurs regards croisés.
Vous entretenez tous les deux une relation sensible avec la nature en général, et les arbres en particulier. D’où vient cette proximité ?
Patrick Scheyder : Je suis né à Paris, mais j’ai eu la chance d’aller en forêt avec mes parents tous les week-ends. J’ai toujours aimé la forêt, les odeurs me stupéfiaient, à l’automne, avec les atmosphères très étranges et les couleurs multiples. Je me suis intéressé plus particulièrement aux arbres quand j’ai découvert une tribune écrite par George Sand dans le journal Le Temps en 1872.
Je me suis rendu compte qu’il y avait un grand loupé dans l’écologie, qui était de faire croire aux jeunes, par omission, que l’écologie est tombée du ciel il y a 30 ou 50 ans, qu’avant tout allait bien, que maintenant tout va mal, et que le futur serait encore pire. Alors qu’il y a des textes qui montrent que ces réflexions datent d’il y a très longtemps ! J’ai écris des livres sur l’histoire de l’écologie pour le dire, puis des spectacles pour faire ressentir comment le passé éclaire notre présent et nous donne plus de force pour construire l’avenir.
Thomas Brail: J’ai grandi dans le Tarn. Mon milieu, c’est la Montagne Noire, des forêts parfois assez industrialisées, mais avec encore un petit côté sauvage. Depuis que je suis gamin, j’ai un fort lien avec ce milieu. Je m’inventais un univers dans la forêt, les ruisseaux, les rochers, les arbres… J’étais très inspiré par Jean de Florette, et je partais souvent avec mon bâton et mon chien pour me promener.
Ce lien ne m’a jamais lâché, et je pense qu’on ne peut pas défendre quelque chose qu’on ne connaît pas.
Patrick, tu as fondé le mouvement de l’Écologie Culturelle, pour lutter pour la protection de l’environnement à travers la culture. Peux-tu nous expliquer ton approche ?
Patrick Scheyder : On parle sans arrêt du libéralisme, et le libéralisme est éminemment culturel. C’est ce qui assure sa survie : le fait que les gens l’aient intégré sans s’en rendre compte.
Si l’écologie, en tant que mouvement et en tant qu’idée, ne veut pas mourir, elle doit prendre en compte, avec respect, la psychologie des gens. Aller dans leur sens, les faire rêver ! Tu ne fais pas rêver en promettant l’enfer. Tu fais rêver en promettant quelque chose de meilleur, si ce n’est le paradis.
Il y a aussi un défaut pour moi dans la manière de communiquer sur les données écologiques, une position de surplomb que je ne peux plus supporter. Ce que j’apprécie dans le discours de Thomas, c’est qu’il dit : “je suis comme vous”. Et c’est exactement ce que l’écologie doit faire.
Pour créer un projet de société partagé par tous et par toutes, il faut mettre les mains dans le cambouis, ne pas hésiter à séduire les gens, leur dire des choses qui vont les toucher, quitte parfois à être vulgaire, à être banal. L’écologie culturelle n’est pas seulement un projet artistique, c’est la culture du quotidien, nos habitudes… C’est ça qui impacte les gens !
Thomas, avec le Groupe National de Surveillance des Arbres que tu as fondé en 2021, tu milites de façon souvent spectaculaire pour attirer l’attention du public et du politique. En quoi est-ce que ta démarche résonne avec cette vision d’une écologie culturelle ?
Thomas Brail : J’avais déjà mis le doigt dans le milieu artistique, par la musique en tant qu’amateur, puis par le théâtre, ça m’a toujours passionné. Patrick est venu me chercher au bon moment, parce que je réfléchissais aussi à mettre en forme quelque chose qui ressemble à ce qu’on est en train de faire.
Ce projet, c’est aussi une soupape de sécurité pour moi, parce que ce n’est pas facile de se battre tous les jours, ça vide les batteries. Et si on peut les recharger par un autre moyen, qui en plus peut donner du plaisir aux gens, allons-y !
Et je crois que j’avais aussi envie qu’on me voit encore sous une autre facette. Et peut-être qu’il y a des artistes qui n’avaient pas envie de militer qui vont s’identifier à ma manière d’être. Je rêve de ça, d’artistes qui s’engagent, qui ont un vrai pouvoir au niveau des réseaux sociaux et de leur impact médiatique.
Vous vous rejoignez tous les deux autour du spectacle Éloge de la Forêt. Pouvez-vous nous parler de la naissance de ce projet ?
Patrick Scheyder : J’ai eu cette idée de faire un spectacle séduisant et disruptif à la fois, rêveur et très pragmatique, après deux événements en novembre dernier au Musée d’Orsay.
Je considère Éloge de la Forêt comme un “nouveau conte écologique” : on y mélange le vrai, le faux, la réalité, le fantasme comme dans n’importe quel conte, mais avec un fil conducteur qui est la magie.
L’avantage de l’art, c’est de montrer d’une manière acceptable les choses très douloureuses, voire dramatiques. Je pense que l’art a toujours servi à ça : il parle de la société de manière tellement belle, même en montrant des choses horribles, qu’on arrive à dépasser ce stade pour imaginer un monde qui serait meilleur.
En quoi est-ce que ce spectacle permet de se projeter dans une société différente ?
Thomas Brail : C’est tout l’avantage de l’art, on peut se permettre des choses que l’on ne peut pas se permettre dans la vie réelle.
Je rentre dans la peau du secrétaire de cabinet de Christophe Béchu (ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, ndlr) alors que, clairement, je n’en ai absolument pas envie !
Mais l’art et le théâtre me donnent la possibilité de rentrer dans un imaginaire et de toucher du doigt ce que j’aimerais leur dire…
C’est le seul endroit où j’ai l’impression qu’il ne peut pas m’arriver grand chose, où j’ai une vraie liberté d’expression.
Patrick Scheyder : On parle beaucoup de nouveaux imaginaires, mais ces nouveaux imaginaires ont une limite, ils paraissent tomber du ciel, sans racine. Il faut y adjoindre les anciens imaginaires et faire le lien, parce qu’une nouveauté sans racine, même si elle les cache, n’a aucune chance de durer. Et puis je pense que la jeune génération doit dépasser le stade de l’inspiration pour passer à l’action. Il ne s’agit pas de dire : “tout ça, ce sont des vieux rêves, maintenant on fonce !” : il faut foncer, et en même temps rêver.