Sokari Douglas Camp : offrir aux passants des fleurs de pétrole et d’acier

Et si l’art était avant tout une conversation, un échange, une rencontre faite avec et pour le regard, permettant d’exprimer par les yeux ce qui ne peut pas l’être avec des mots ? Et si, en offrant ses œuvres aux coups d’oeils intrigués des passants, l’artiste était justement un passeur et ses œuvres, un pont, ouvrant une brèche, un passage entre des expériences de vie souvent si différentes ? 

Passerelles entre les mondes, certaines œuvres, telles que les sculptures d’acier de l’artiste plasticienne nigériane Sokari Douglas Camp, sont dotées d’une force profonde, tant matérielle que symbolique, et transformative.

De renommée internationale, Sokari Douglas Camp est née en 1958 à Buguma, dans le Delta du Niger, au Nigéria. Elle grandit à Londres et obtient une maîtrise à la Royal School of Art de Londres 1986 après avoir étudié en Californie. Elle s’essaye d’abord à la peinture mais, bien que fascinée, elle se désintéresse rapidement de l’approche en deux dimensions : « J’ai décidé que je voulais être un peintre bruyant ».

Jonkonnu Masquerade – 2022, troisième exposition solo à l’October Gallery de Londres, explorant l’histoire de la diaspora africaine.

Enfant et adolescente, la découverte de la richesse de son identité culturelle, le peuple d’Afrique de l’Ouest Kalabari, nourri indéniablement son univers créatif. Ses sculptures, souvent de grande taille, sont des mélanges entre son héritage culturel et l’histoire de l’art européen, ce qui lui permet d’aborder, souvent avec légèreté et ironie, des questions sociopolitiques et l’histoire de la diaspora africaine.

« Mes sculptures sont faites d’acier. Mes origines britanniques, kalabari, nigérianes, ma conscience de l’environnement. Il y a tellement de filtres pour comprendre qui je suis et ce dont mon travail parle. »

Sokari Douglas Camp décrit elle-même sa pratique artistique comme consistant à « souder, couper et plier des tôles d’acier et des barils de pétrole recyclés pour leur donner forme ». Porteur de récits d’échanges et expression même de l’identité et de l’héritage culturel, le tissu joue également un rôle majeur dans ses sculptures.

Sokari Douglas Camp, Europe Supported by Africa and America, 2015, ormeau d’acier, or, feuilles de cuivre et buses d’essence, 200 x 84 x 97 cm, Courtesy Sokari Douglas Camp, © ADAGP, Paris

Inspirée par l’estampe abolitionniste de William Blake. 

 

A travers ses oeuvres, Sokari Douglas Camp aborde les héritages de l’esclavage, les questions de pouvoir et de genre, et des conséquences de la crise climatique.

« J’ai tellement d’histoires à raconter : mon intérêt pour l’environnement, la pollution et la destruction du Delta du Niger, mon intérêt sur comment les femmes sont perçues, mon intérêt sur comment les personnes noires sont perçues. » 

Née à l’époque de la découverte de pétrole dans l’État de Rivers au Nigeria et marquée par son effet dévastateur sur le delta du Niger mais aussi sur le reste du monde, elle dénonce le colonialisme économique des compagnies pétrolières multinationales. Ôde à la résilience, nombreuses de ses sculptures ont pour socle des barils de pétrole et sont composées de couronnes de fleurs, souvent matérialisées par des tuyaux de carburant, faisant de l’acier son médium privilégié de protestation.

Battle Bus – 2006.

Dans cette œuvre, cet autobus grandeur nature est érigé en mémoire du militant et écrivain Ken Saro-Wiwa, premier militant environnemental Africain tué en 1995 par le gouvernement militaire dans le Delta du Niger. Les mots du discours de l’activiste contre la pollution pétrolière apparaissent, gravés sur les parois du bus en acier.

All the World is richer – 2012, mémorial pour commémorer l’abolition de l’esclavage.

Exposée dans les musées et galeries du monde entier, au parlement britannique et dans le premier musée d’art africain basé à Washington, Sokari Douglas Camp est l’une des sculptrices africaines les plus renommées au monde et une artiste incontournable de la diaspora nigériane. Au cours de sa carrière, elle reçoit plusieurs prix et distinctions, dont le Saatchi and Saatchi Award en 1982 et le titre honorifique de Commandeur de l’Empire britannique (CBE) en reconnaissance de ses services rendus à l’art en 2005.

Manmade – 2020, Ichihara Art X Mix Gare de Goi, Japon.

Avec l’arrivée du Covid, Sokari Douglas Camp se questionne : « Qu’est-ce que l’art si personne ne peut le regarder ? ». Cette réflexion la pousse à renouveler son processus créatif et à s’emparer de l’espace public, rues et places, afin d’établir un rapport direct avec les passants.

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