Retour sur l’atelier du 17 février 2021 : comment l’Art peut-il être un vecteur de lien social ?

C’est une belle capsule de déconnexion, à un moment où le besoin de s’évader est plus que jamais présent, que nous avons vécu ce mercredi 17 février 2021. 

 

Pour notre premier atelier de l’année, nous souhaitions découvrir comment et pourquoi l’Art peut nous aider à faire société. Nous avons eu pour cela le plaisir d’échanger avec Anne-Laure Maison et Michel Cam, deux artistes engagés qui nous ont fait découvrir leur projet Human Soul, mais aussi Christophe Piedra, directeur de la Cité de Refuge de l’Armée du Salut, et Francesca Cozzolino, enseignante chercheure et responsable de la plateforme “Art design et société” d’EnsadLab qui ont apporté leurs regards et expertises au débat.

La conversation s’engage à propos de la genèse du projet Human Soul. Anne-Laure et Michel nous embarquent sur leur bateau atelier et nous racontent leurs rencontres lors d’un tour du monde, avec des tribus très en marge de la société, comme les Badjado (Bornéo) ou les Tagbanua (Philippines). Lors de leur périple, Anne-Laure et Michel ont découvert leurs modes de vie puis ils ont créé des collages géants, représentant les portraits de ces individus à l’échelle de leurs habitats. La réaction que produisait leur création sur ces publics habituellement éloignés de tout univers artistique intéressait particulièrement le duo d’artistes. Anne-Laure décrit ce moment comme une offrande. 

Au travers cette connexion par l’émotion, les deux artistes nous font peu à peu la démonstration de la puissance de l’art comme vecteur de lien social.

Si les photos de cette aventure et de ces paysages idylliques se succèdent au fil de la conversation, ce n’est pourtant que le point de départ d’une aventure qui se déroule ensuite sur Paris. En pleine pandémie, Anne-Laure et Michel font finalement escale à la Cité de Refuge de l’Armée du Salut dans le 13e arrondissement, un lieu dédié à la réinsertion dans la société des personnes en grande précarité. Ils y poursuivent leur objectif de raconter la différence au travers l’expression artistique. C’est cette volonté qu’ils ont partagé à Christophe Piedra, le directeur de la Cité de Refuge, qui leur a donné les clés d’une chambre au sein de la résidence afin qu’ils puissent vivre au quotidien avec les résidents.

C’est ainsi que s’est prolongé le projet Human Soul. Anne-Laure et Michel ont commencé par installer des tables dans l’enceinte de l’établissement afin de laisser libre choix aux résidents de venir échanger et créer avec eux, sans pour autant que cela ne prenne la forme d’un atelier formel. Aux participants, ils posaient la question suivante : « qu’est ce que tu veux donner de toi ? ».

C’est grâce à cette collecte d’informations personnelles qu’ils ont ensuite commencé à créer des collages rassemblant des fragments de vie des résidents, et racontant leurs parcours singuliers. 

L’étape suivante a consisté à projeter ces portraits réalisés sur les murs de la Cité de Refuge puis sur l’Ep 7, un bâtiment voisin mais encore plus visible de la rue. Cette projection en extérieur a constitué un tournant, explique Michel : grâce à ce changement d’échelle, les résidents ont voulu se raconter plus en profondeur.

Ce n’est pas un projet qui reste en interne pour l’interne, on les aide (les résidents) à sortir de ce bâtiment.

Anne-Laure Maison.

© Anne-Laure Maison et Michel Cam

Premier témoin de cette expérience sociale et artistique, Christophe Piedra raconte ensuite l’impact qu’a eu Human Soul au sein de son établissement. En l’écoutant parler de ce projet collectif et collaboratif, on comprend mieux à quel point cela a permis de créer du lien social au sein de ce bel établissement construit par Le Corbusier. Auparavant, des artistes venaient exposer leurs créations faisant ainsi des résidents des acteurs passifs dans la réception de l’œuvre d’art. Grâce au projet Human Soul, ces derniers participent, et sont même au cœur de la création. Ils parlent d’eux autrement que dans les bureaux des travailleurs sociaux, et cette façon de se raconter de manière publique permet de tisser des liens.

Au-delà des rencontres, cela re-mobilise les personnes. (Cela permet) de raccrocher les gens sur un temps un peu mort.

Christophe Piedra.

Francesca Cozzolino, anthropologue dont les travaux consistent à rechercher comment la création participe de la fabrique du social, apporte ensuite son éclairage sur la posture de l’artiste et son rôle dans la société. Selon elle, de plus en plus d’artistes se positionnent sur le paradigme de l’art engagé et oeuvrent à la fabrication d’un commun.

Illustrant chronologiquement son propos, elle nous explique que dans les années 90 est née la notion d’artistes relationnels, pour lesquels l’art est un lieu de rencontre, alors qu’aujourd’hui, cette notion laisse place à la figure d’artiste comme réparateur de la société.

En répondant ensuite aux questions/réponses des internautes, Anne-Laure et Michel disent se reconnaître dans cette notion d’art relationnel. Selon Anne-Laure, l’œuvre qui ressort de Human Soul est beaucoup plus vaste que ces simples portraits et que cela se construit de tous ces moments de vie. Les deux artistes racontent vivre l’état d’être des gens avec qui ils sont

Au détour d’une question, Christophe engage une réflexion autour du rôle de l’Etat dans l’inclusion des personnes en situation de grande précarité. Il explique que ce dernier se désengage de plus en plus de l’aspect culturel en se reposant uniquement sur un travail social pur et dur alors que l’on comprend que l’art dans ce contexte a permis de créer des liens très forts, notamment entre les résidents et toute l’équipe de travailleurs sociaux qui ont aussi été amenés à constituer leur portrait. Human Soul a bouleversé la nature des échanges en déconstruisant cette logique d’aidant à aidé. Cela a permis d’instaurer un lien avec les personnes, de manière moins institutionnelle et froide.

Touchés par l’ampleur et l’impact qu’a pris le projet, Anne-Laure et Michel souhaitent désormais diffuser ces portraits à grande échelle dans les rues de Paris, mais également de New-York. La transversalité de Human Soul et l’arborescence des termes abordés fait envisager aux deux artistes l’avènement futur d’un colloque réunissant des personnalités de plusieurs disciplines différentes.

L’art fait partie complètement intégrante du processus d’insertion des personnes et il faut arriver à le capitaliser de manière un peu scientifique.

Christophe Piedra.

L’anthropologue commente à ce sujet : 

 

On voit bien comment un projet peut aussi faire la différence. (Human Soul) montre comment ces activités peuvent avoir un impact au-delà du simple fait esthétique.

Francesca Cozzolino.

En quelques mots, elle résume la puissance que peut avoir l’art en tant que vecteur de lien social et clôt cet atelier qui, on l’espère, vous aura fait voyager et donné envie de passer à l’action pour une création sociale et engagée.

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