TFL Next – Screens of tomorrow : Quel monde pour demain sur nos écrans ?

Co-créée par Sparknews et TorinoFilmLab, avec le soutien financier de l’Union européenne dans le cadre d’un programme Erasmus+, cette nouvelle résidence aspire à outiller celles et ceux qui écrivent les fictions de demain pour présenter à l’écran un monde plus sensible aux enjeux environnementaux et sociaux.

« Il y a une citation qu’on aime, qui dit que la culture, et notamment le cinéma, a ce pouvoir de “préscénariser les comportements” », confie Alma Gavazzi, cheffe de projet au pôle culture à Sparknews. « Yves Citton, philosophe », complète avec enthousiasme sa collègue Alicia Beranger, analyste spécialisée en méthodologies de sensibilisation et d’acculturation. C’est avec cette idée en fond que l’entreprise a co-construit avec le TorinoFilmLab (TFL) la résidence TFL Next – Screens of tomorrow, pour accompagner une vingtaine de projets de films à évoluer avec une sensibilité à l’inclusion, la diversité et l’écologie. 

Les prémises du projet

Chez Sparknews, tout (ou presque) tourne autour du récit et sa force à façonner le présent et le futur. Habituée aux programmes de sensibilisation autour de la transition écologique et sociétale, la société à impact n’en est pas à son premier programme collaboratif pour engager les cinéastes. En 2022, elle a lancé le guide de L’écran d’après, une grille de questionnements co-construite avec et pour les professionnel.les de l’audiovisuel et du cinéma. Tout d’abord présenté en français puis adapté en anglais, l’outil aspire notamment à aider les auteurs, autrices et scénaristes à aller au-delà des « automatismes d’écriture », « mettre à l’écran une société plus inclusive » et « normaliser des comportements durables pour le spectateur en développant de nouveaux référentiels », et aborde aussi des questions sur l’éco-production. Ce guide emmène l’équipe derrière au cœur d’événements incontournables de l’industrie du cinéma, comme le marché du film de Cannes, ou encore la Mostra de Venise où, en 2023, la rencontre se fait avec le TorinoFilmLab. Il contribue aussi à faire naître l’idée de cette résidence d’accompagnement et de montée en compétences. 

De début juin à fin août 2024, la première édition, « pilote » en quelque sorte, de TFL Next – Screens of tomorrow réunit 25 jeunes auteur·ices, producteur·rices et éditeur·rices de scénarios autour du pouvoir du récit et l’impact du cinéma sur le monde de demain. Le tout sous le tutorat de cinq professionnels sélectionnés avec attention par le TorinoFilmLab, qui est reconnu internationalement pour ses programmes de soutien aux auteurs.trices travaillant sur un premier ou deuxième long métrage de fiction. 

L’objectif étant d’aller « un cran plus loin qu’un apport théorique », pour que les savoirs partagés par Sparknews permettent aux participant·es de « vraiment se saisir de ces questions-là dans leur propre métier, dans leur propre quotidien », explique Alma.

L’aventure peut enfin commencer !

L’aventure est ambitieuse et montée en peu de temps en fin de compte. Une fois le financement européen (dans le cadre d’Erasmus+) sécurisé, le feu vert est donné en février 2024. Trois mois de préparation s’en suivent, dont deux dédiés au travail sur le contenu pédagogique. Et c’est parti. Autour de 20 heures de conférences, workshops et discussions étalées sur deux semaines, avec des interventions d’expert.es comme le réalisateur engagé Cyril Dion (Demain, Animal), la spécialiste en permaculture et agroécologie Perrine Bulgheroni, ou le producteur Josh Cockcroft, co-fondateur de Climate Spring, organisation oeuvrant à porter à l’écran de nouveaux récits autour du dérèglement climatique.

Liste des intervenants du programme de la résidence

« On a décidé de leur faire un petit panorama des crises qu’on traverse. Donc crise écologique, avec un gros prisme sur l’énergie, l’empreinte matières, la surconsommation, le rapport au vivant aujourd’hui – qui est complètement en rupture avec l’humain – et aussi les enjeux d’inclusion, en parlant des inégalités et des systèmes de domination qui sont aujourd’hui perpétués et qui peuvent être représentés aussi dans le cinéma », détaille Alicia.

À la suite, le TorinoFilmLab a mené une semaine de sessions d’accompagnement plus axées sur les projets de film des un.es et des autres, avant de laisser aux auteur·ices une respiration de deux mois pour avancer sur leur synopsis de leur côté, à leur rythme. Tout au long du programme, les participant.es ont droit à des temps de travail en grand comité, en petits groupes (3 à 4 projets, avec mentor·e et apprenti·e éditeur·euse de scénario) et en quasi-individuel.

Tisser des histoires et croiser les regards : un parcours de réflexion et d’épanouissement créatif

Les participants à la première édition 2024 de la résidence TFL Next (1)

« C’était une si bonne combinaison », réagit Judie Yang, scénariste-réalisatrice taïwanaise basée au Japon. Elle a rejoint la résidence avec son premier projet de long métrage, The Number-One Girl. Inspiré de sa propre expérience de migration aux États-Unis, le film suit les mésaventures d’une jeune taïwanaise qui emménage au Colorado, aux États-Unis, avec sa famille et qui part à la conquête de la popularité au lycée qu’elle vient de rejoindre, naviguant un monde rempli de stéréotypes sexistes et racistes. Dans les moments de groupe, elle a trouvé du soutien et de la rassurance, et dans les échanges en petit comité avec sa tutrice française, Lucie Trémolières, et l’apprenti éditeur de scénario israélien qui l’accompagnait, Yotam Shazar, elle a pu avoir des retours constructifs et précis pour avancer son idée de fiction. 

 

Nicole Gullane, autrice brésilienne qui était dans le même groupe, appuie.

 « J’ai été agréablement surprise par la profondeur de l’analyse de mon projet et celle des autres, surtout en tenant compte du peu de temps dont nous disposions », écrit-elle par e-mail.

Les participants à la première édition 2024 de la résidence TFL Next (2)

Toutes deux saluent la richesse que la diversité des groupes a permis. Avec 15 pays représentés, il y avait de quoi faire.

« J’ai eu l’opportunité de collaborer avec des personnes de différents continents, comme l’Europe et l’Asie, sur mon projet sud-américain », raconte Nicole. Son projet, Angélica, s’intéresse à un camionneur dont la vie est chamboulée par une rencontre avec une femme trans, et qui se retrouve à questionner ses convictions et redéfinir ce que signifie être une famille pour lui. L’autrice salue l’espace donné par les mentor·es à ces différents feedbacks et regards croisés.

« En tant que scénariste, mon objectif est de présenter à l’écran un Brésil plus nuancé et humanisé, différent des représentations typiques que l’on voit souvent dans les œuvres de fiction. Je veux présenter des personnages riches et complexes vivant dans un contexte socio-économique et culturel qui reflète à la fois des aspects positifs et négatifs. Le fait d’entendre les points de vue de personnes en Grèce, à Taïwan et en France, même à ce stade précoce du film, m’a aidé à comprendre comment mon pays est perçu à l’étranger. » De quoi lui donner matière à réflexion.

Les participants à la première édition 2024 de la résidence TFL Next (3)

De son côté, Judie est aussi ressortie nourrie par des réflexions, sur son film, déjà, mais aussi sur un plan un peu plus « philosophique » autour du cinéma et de ce qu’elle aimerait contribuer avec sa propre œuvre.

« Dans une session, on parlait de construire dans ses films un monde qu’on aimerait réellement habiter, et ça m’a aidé à sortir du gouffre. J’étais tellement investi dans ce que [le personnage principal] vivait, ce qui pouvait lui arriver, mais je n’avais pas pensé à ce qu’elle voulait voir. » Ce qui l’a fait réfléchir plus largement : « Je me suis dit, je fais ce film pour la future génération, pour un public jeune, donc je veux donner à voir un monde “bon” dans mon film. »

Et pour ce faire, cela passe aussi par les détails.

« J’ai beaucoup aimé quand Lucie nous a dit qu’il ne s’agissait pas de changer l’histoire, mais plutôt la façon dont nous la présentons. Peut-être que la façon dont nous la présentons peut motiver le public à repenser ces choses que nous utilisons. Elle mentionnait, par exemple, le fait que nous montrons toujours à l’écran des gens qui conduisent des voitures, n’est-ce pas ? Mais pourquoi ne prennent-ils pas le tramway ? Ce serait plus écologique. Pourquoi c’est automatiquement la voiture le meilleur choix ? Et c’est lié à une question philosophique. Si je veux créer un monde souhaitable auquel je veux que le public croit, je devrais être encore plus réfléchie dans tous ces choix. » 

Aider les cinéastes à aborder les enjeux climatiques : le point de vue de la tutrice Lucie Trémolières

Amener les professionnel.les du cinéma non averti.es à s’interroger non seulement sur les différents aspects du 7e art, de sa production, à son message et sa dramaturgie est justement au cœur de la démarche entreprise par Lucie Trémolières. Elle-même autrice, elle est une fervente défenseuse de l’éco-production et de la nécessité d’intégrer les aspects environnementaux et écologiques aux histoires que l’on porte à l’écran. Familière du TorinoFilmLab, elle a participé à l’un de leurs « lab » deux ans auparavant, avant de commencer à collaborer avec le laboratoire ponctuellement.

« Je pense que les gens utilisent les histoires pour donner sens au monde et qu’aujourd’hui, on ne les aide pas parce qu’on ne leur en parle pas. On ne leur en parle pas d’une manière qui va assez dans la difficulté émotionnelle que c’est. Donc les gens se sentent seuls là-dessus. Je pense aussi que les auteurs ont peur d’aller loin là-dedans. Ils ne se sentent pas légitimes. C’est un peu compliqué. Et on passe à côté de beaucoup de projets qui n’arrivent pas vraiment à bien se former. Parce que les auteurs ont peur, parce que les prods ont peur, parce que les diffuseurs ont peur… Du coup, les histoires écologiques, on voit tout le temps les mêmes. » D’où son engagement à soutenir des histoires et points de vue différents à émerger. 

« Je crois qu’il y a finalement peu d’endroits où tu peux dire, moi, ces questions-là sont importantes pour moi, mais je n’ai pas toutes les réponses, souligne-t-elle. On est en train de déconstruire des choses hyper compliquées, qui sont bloquées dans nos yeux et dans nos cerveaux depuis des centaines d’années, et on ne pas tout savoir tout de suite. »  Elle déplore le manque de formations et initiatives autour de la durabilité et de l’environnement dans le cinéma, en France en particulier, alors que des sujets comme l’intelligence artificielle prennent rapidement de l’espace (d’autant plus que l’IA et l’impact environnemental, c’est tout un sujet). Pour elle, cette résidence fait partie de ces rares opportunités de sensibiliser d’autres professionnel.les, et à échelle internationale qui plus est, et d’apprendre des un.es et des autres. Elle ajoute : « Il y avait cette espèce d’écoute et de gentillesse que les gens avaient entre eux, et de besoin de partage et de connexion. C’était vraiment hyper sympa. »

Élargir ses horizons en narration et en durabilité: la perspective d’un apprenti « story editor »

Même son de cloche du côté de Yotam Shazar, un producteur qui a pris part au TFL Next – Screens of tomorrow comme apprenti story editor. Cette position à double facette lui permettait d’être tour à tour apprenti et tuteur. Il reste notamment marqué par les échanges qu’il a vus autour des projets des un.es et des autres. 

 

« Tout d’un coup, ils comprenaient par exemple que cet humour qui est en fait très grec marche complètement pour quelqu’un de brésilien ou allemand ou taiwanais. Ou que les nuances d’un personnage et ce qu’il vit fonctionnent très bien pour certains parce qu’ils se reconnaissent dans l’expérience malgré les différences. »

Capture d’écran d’une des sessions de la résidence TFL Next

Pour Yotam, ce programme a été l’occasion de s’aguerrir au travail d’éditeur de scénario, de s’enrichir de ces échanges culturels mais aussi de se familiariser avec de nouveaux concepts et d’apprendre des faits et chiffres sur le vivant et l’environnement. Tant de choses qu’il « ne savait pas qu’[il] ne savait pas ».

Ses plus grandes surprises ont été la découverte de la richesse des sols et les ramifications des causes et effets du dérèglement climatique à travers le concept des frontières planétaires. « Bien sûr, j’étais déjà familier avec le changement climatique, mais je me suis rendu compte qu’il y avait bien plus d’aspects en jeu auxquels nous devions penser. » De quoi élargir sa perspective du monde.

Et ensuite ?

Si les participant.es semblent pour la plupart repartis avec des connaissances, des apprentissages et continuer d’avancer sur leurs projets – Judie se donne un an pour faire mûrir son projet, Nicole a déjà candidaté à d’autres « labs » pour passer à la prochaine phase de développement de son film, et Yotam est désormais un story editor en plus d’être producteur et contribue déjà à au moins trois films et une série télévisée –, les équipes Sparknews et TorinoFilmLab se projettent déjà sur 2025 et espèrent d’ores et déjà pouvoir renouveler l’expérience avec plus de temps et d’attention accordé à l’appel à candidatures pour maximiser d’avantage le côté international du programme qui a tant plu. Le succès de cette édition pilote y est, la passion pour le projet et des idées pour la suite y sont aussi. Il ne reste plus qu’à décrocher les financements. Le dossier a été déposé auprès d’Erasmus+. Réponse en janvier 2025.

 

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