Prospective

Chômage et sous emploi en Afrique : combattre les idées reçues

 

D’ici 2030, près de 350 millions de jeunes arriveront sur le marché du travail dans le monde, dont la moitié en Afrique. Pour qu’un maximum d’entre eux aient accès à des emplois décents, la croissance économique ne suffira pas. Des politiques plus ambitieuses doivent être mises en place.

Par Ivan Postel-Vinay, Responsable d’équipe projet et référent Emplois décents à l’AFD

Usine de fabrication de papier à Kampala en Ouganda © kibuuka Mukisa Oscar / AFD

Si le chômage et le sous-emploi sont toujours un sujet de préoccupation majeur dans nombre de pays industrialisés, ils frappent encore plus durement les pays en développement. Au Maghreb, les diplômés du supérieur connaissent un chômage massif qui atteint 30 % en Tunisie. En Afrique subsaharienne, 70 % des jeunes vivent avec moins de trois dollars par jour, ce qui conduit beaucoup de personnes à accepter des emplois sous-payés, aux horaires inadaptés, avec des conditions de travail parfois dangereuses. En Asie du Sud et en Amérique latine, comme en Afrique, l’informalité massive et le faible accès à la protection sociale rendent les travailleurs particulièrement vulnérables aux chocs, qu’ils soient économiques (faillite, licenciement…) ou individuels (maladie, accident du travail…).

Le chômage et le sous-emploi de masse creusent les inégalités et alimentent un ressentiment collectif, voire parfois des mécaniques de basculement dans la violence. Pourtant, les gouvernements de nombreux pays en développement tardent à élaborer, et surtout à mettre en œuvre, des politiques d’emploi à la hauteur des enjeux.  

Comment expliquer ce paradoxe ? La relative inaction des gouvernements en matière d’emploi fait écho à des idées reçues qu’il est essentiel d’identifier pour pouvoir les discuter.

« Ce sont les entreprises qui créent les emplois, donc la seule réponse au chômage est le développement économique »

La première réponse au chômage et au sous-emploi est naturellement la croissance du nombre et de la taille des entreprises. Mais développer les infrastructures et les chaînes de valeur, améliorer l’environnement des affaires, le financement des entreprises ou encore les règles du commerce international ne suffit pas. Encore faut-il que les entreprises puissent pourvoir les postes qu’elles souhaitent créer.

Or, au Sud plus encore qu’au Nord, la rencontre entre l’offre et la demande de travail ressemble à un éternel rendez-vous manqué. Beaucoup d’employeurs désespèrent en effet de trouver les profils correspondant à leurs besoins. De nombreux individus, même qualifiés, peinent de leur côté à obtenir l’emploi qui correspond à leurs aspirations, soit par difficulté à identifier les postes vacants, soit par incapacité à franchir tous les obstacles (liés aux processus de sélection mais aussi aux représentations et aux discriminations…) qui jalonnent les processus de recrutement.

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Si les nouvelles technologies numériques peuvent contribuer à rendre l’information plus accessible, notamment à travers les job boards, elles ne règlent qu’une partie du problème. Les individus doivent être formés, ce qui implique, en amont, de renforcer les systèmes éducatifs au sens large. Ils doivent également être préparés et accompagnés, en proportion de leur degré d’autonomie, dans la définition de leur projet et dans la démarche complexe et exigeante qui les conduira jusqu’à l’obtention d’un emploi correspondant à leurs qualifications et à leurs aspirations.

Réaliser ce travail d’accompagnement et aider en parallèle les entreprises à définir et formuler leurs besoins de recrutement sont les raisons d’être des services publics d’emploi. Des services qui restent encore inexistants ou insuffisants dans nombreux pays. C’est pourquoi les bailleurs de fonds internationaux doivent accompagner la structuration et le renforcement des capacités des services publics d’emploi, dans une logique territoriale et partenariale. Cela sans faire l’impasse sur la dimension entrepreneuriale, car le chemin le plus court vers l’emploi est parfois de créer sa propre activité.

« Les politiques d’emploi sont inefficaces »

Les gouvernements des pays en développement ont tôt fait de souligner que, même dans les pays du Nord qui ont consacré des moyens importants à la lutte contre le chômage, celui-ci n’a pas disparu. Pourquoi, dès lors, financer des politiques d’emploi dans des pays où la ressource publique est bien plus rare ?

À y regarder de plus près, ces politiques n’ont pas été abandonnées au Nord : bien au contraire, même des pays très libéraux sur le plan économique continuent de proposer une gamme importante de services d’emploi dans des réseaux étendus : on compte par exemple plus de 600 Jobcentre Plus au Royaume-Uni et 2 400 American Job Centers aux États-Unis. En France, Pôle emploi est une institution majeure dont le budget avoisine 5 milliards d’euros par an hors allocations chômage.

La raison de ce maintien des services d’emploi est simple : un large consensus existe sur l’importance d’accompagner les demandeurs d’emploi. Notamment pour lutter contre l’effet d’hystérèse du chômage qu’Olivier Blanchard et Lawrence Summers ont théorisé dès 1986 : plus un individu reste longtemps au chômage, moins il a de chances de retrouver un emploi, par un double effet de stigmatisation et de déconnexion vis-à-vis de l’entreprise. À l’inverse, une étude de 2010 souligne que « le passage par une offre de service a pour effet d’augmenter, toutes choses étant égales par ailleurs, le taux de retour à l’emploi. Plus l’intensité de l’offre de service est forte et plus le taux de retour en emploi est significativement important. »

Dans des pays du Sud, où les marchés de l’emploi sont particulièrement tendus, il convient toutefois d’être vigilant à ce que les services d’emploi s’adressent également aux employeurs pour faciliter les ouvertures de postes, y compris dans les entreprises informelles qui constituent l’essentiel du tissu économique. Il s’agit de ne pas créer de simples effets de déplacement du chômage de ceux qui sont accompagnés vers ceux qui ne le sont pas.

Par ailleurs, souvenons-nous que toutes les quinze secondes dans le monde, une personne meurt d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle. Les politiques de renforcement de l’accès à l’emploi doivent être couplées à un travail de sensibilisation sur le travail décent.

« Les politiques d’emploi coûtent plus qu’elles ne rapportent »

À l’instar des politiques en faveur de l’éducation ou de la santé, les actions en faveur de l’emploi ont un coût. Mais, lorsque les services aux chômeurs et aux entreprises sont ciblés, dimensionnés avec pertinence et mis en œuvre avec efficacité, le retour sur investissement peut être massif. Les bénéfices d’un développement de l’accès à l’emploi sont multiples : des individus économiquement et socialement insérés, une progression de la consommation des ménages, des entreprises qui se développent, des ressources fiscales supplémentaires pour les pouvoirs publics.

À l’inverse, l’inaction a un coût, non seulement sociétal et politique, mais économique : manque à gagner lié à la main-d’œuvre inemployée, dépenses d’aide sociale… En Europe, il a été calculé que les jeunes « NEET » (ni dans l’éducation, ni en emploi, ni en formation) coûtaient plus de 120 milliards d’euros par an à la société. Qu’en sera-t-il demain si rien n’est fait pour renforcer l’accès à l’emploi des 20 millions de jeunes qui, chaque année, entrent sur le marché du travail en Afrique  ? Le « dividende démographique » tant attendu est aujourd’hui en péril.

L’accès du plus grand nombre à des emplois décents appelle des réponses fortes. Certains gouvernements africains, asiatiques ou latino-américains ont pris la mesure de l’urgence et décidé de coupler leurs politiques de développement économique avec un engagement fort en faveur de l’emploi. Ce mouvement doit aujourd’hui s’amplifier, en cohérence avec les ambitions et les contraintes propres à chaque pays.

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Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne reflètent pas forcément la position officielle de leur institution ni celle de l’AFD.

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