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ECOncrete, un havre de béton où la biodiversité peut proliférer

 

Les infrastructures sous-marines et côtières exercent souvent une forte pression sur les écosystèmes naturels. Mais une start-up israélienne, ECOncrete, a mis au point un mélange de béton respectueux de l’environnement qui favorise la croissance de la biodiversité sur et autour des structures telles que les ports, les ponts et les fronts de mer.

© ECOncrete

Le développement des infrastructures côtières peut être à la fois une bénédiction et une malédiction. Selon les Nations unies, plus de 3 milliards de personnes —près de la moitié de la population mondiale— habitent près des côtes et dépendent de la biodiversité marine et côtière pour leur subsistance, un chiffre qui devrait augmenter dans les prochaines décennies. Si les ports, les barrages, les conduites sous-marines et les fronts de mer demeurent essentiels au développement économique de ces populations, ces infrastructures nuisent inévitablement —et parfois irrémédiablement— aux mêmes écosystèmes dont on a besoin pour prospérer.

 

La raison est simple. « La composition chimique, la conception plate et la faible complexité de la surface de la plupart des infrastructures côtières et sous-marines en béton empêchent les organismes marins de s’y installer, ce qui favorise la prolifération d’espèces envahissantes et le déclin de la biodiversité locale », explique le Dr Ido Sella, biologiste marin et cofondateur d’ECOncrete, une start-up israélienne qui a mis au point un mélange de béton écologique qui pourrait être la réponse à ce dilemme.

 

Co-fondée par le Dr Ido Sella et le Dr Shimrit Perkol-Finkel —également biologiste marin— en 2012, l’entreprise propose aujourd’hui des solutions pour la construction côtière, notamment des additifs de bio-renforcement pour le béton et des infrastructures conçues scientifiquement, pour permettre à la vie aquatique de s’installer et s’y développer, mais aussi de réduire l’empreinte carbone des ports, des marinas, des barrières de protection côtière et des projets de front de mer urbains, tout en améliorant leur intégrité structurelle. Le tout, grâce à un coup de chance.

 

Après leur doctorat, les deux co-fondateurs d’ECOncrete se sont investis comme consultants sur de grands projets d’infrastructure dans des secteurs divers, tels que l’industrie pétrolière et les piscicultures, où ils ont pu constater à quel point ces structures étaient néfastes pour la vie marine et l’environnement. « Les structures traditionnelles en béton présentent des défis majeurs car, une fois qu’elles sont sous l’eau, il faut compter de 30 à 50 ans pour que la vie commence à pousser sur leur surface », explique le Dr Sella. « C’est la chimie du béton même qui empêche certains organismes marins, comme les coraux et les huîtres, de se fixer sur ces murs. » Car une fois que ces organismes s’installent sur une surface, ils y restent à vie; ils ne peuvent littéralement plus bouger. Ils choisissent donc judicieusement l’endroit où ils vont s’accrocher. « Les produits chimiques ajoutés au mélange de béton traditionnel, tels que les plastifiants, les agents de congélation et les agrégats anti-fissures souvent utilisés pour les infrastructures marines et côtières, agissent comme dissuasifs pour ces organismes », ajoute-t-il.

 

Mais en 2011, alors qu’ils menaient une enquête pour évaluer la biologie des digues d’une centrale électrique sur la côte méditerranéenne israélienne, les deux scientifiques sont tombés sur un morceau de la digue qui semblait attirer plus d’organismes marins que le reste. Aussitôt, ils ont commencé à rechercher les causes de ce phénomène. « Cette partie avait été érigée à côté du reste, mais en utilisant un mélange de béton différent qui modifiait les performances biologiques », se souvient le Dr Sella. Des expériences menées en Méditerranée et sur la côte Est des États-Unis, lors desquelles ils ajoutaient différents composants au mélange de béton —un mélange de poudres fait à partir de sous-produits de l’industrie dont le co-fondateur d’ECOncrete préfère ne pas divulguer la formule— leur ont permis de résoudre cette énigme et de mettre au point des structures sur lesquelles la biodiversité se développait seulement trois mois après leur immersion.

 

L’efficacité de ces structures ne repose pas seulement sur une formule magique. ECOncrete modifie également la surface des infrastructures sous-marines, souvent plates, afin de les rendre plus attrayantes pour les espèces qui cherchent à s’accrocher et leur permettre de grandir correctement grâce au biomimétisme, c’est-à-dire en imitant les habitats naturels de ces organismes. Pour ce faire, l’entreprise compte sur une équipe multidisciplinaire d’écologistes marins, de biologistes, de géologues, d’experts en béton, d’ingénieurs et de concepteurs. Ensemble, ils créent des unités de béton sur mesure et modulaires qui, une fois assemblées, serviront de fondations aux ponts, aux piliers, aux brise-lames et aux digues, ainsi qu’aux bassins d’eaux de marée et de matelas en béton, tous conformes aux normes de construction requises pour les constructions côtières et marines.

 

« Notre technologie réduit l’empreinte carbone de ces structures [jusqu’à 46 % dans certains cas], mais elle encourage également la croissance de la flore et de la faune, qui à leur tour servent de bouclier pour protéger les structures », précise le Dr Sella. En effet, huîtres et coraux sont capables de protéger physiquement le béton contre les attaques de l’affouillement et des chlorures, tandis qu’un couvert végétal peut réguler les changements de température et le niveau d’humidité à la surface du béton. Et ce n’est pas tout. « En s’attachant aux surfaces d’ECOncrete, certains organismes marins comme les coraux et les huîtres sécrètent du carbonate de calcium, créant ainsi une sorte de puits de carbone naturel actif », souligne-t-il, « Chaque kilogramme de carbonate de calcium produit par une coquille d’huître qui s’attache à ces structures capture 120 grammes de CO2 ». Une fois attachés, ces organismes renforcent également l’activité florale des herbes marines et des algues sur la zone —qui capturent eux aussi du dioxyde de carbone—, attirant à leur tour d’autres espèces et renforçant la résilience de la biodiversité dans la zone.

 

Basée à Tel-Aviv et travaillant main dans la main avec promoteurs, autorités, entrepreneurs, architectes, ingénieurs et écologistes, ECOncrete a déjà déployé sa technologie révolutionnaire en Israël, en Europe et en Amérique du Nord, où elle a ouvert sa propre filiale. Elle a récemment commencé à travailler sur un projet d’infrastructure d’un an et demi à Hong Kong. Son objectif sur le long terme ? Faire des futures infrastructures côtières en béton un havre pour la biodiversité marine plutôt qu’une malédiction.

 

 

Cet article a été écrit dans le cadre d’une série produite pour open_resource par Sparknews, une entreprise sociale française qui vise à faire émerger des nouveaux récits pour accélérer une transition écologique et sociale à la hauteur des enjeux de notre époque.

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