Pour Raphaël Besson, de Villes Innovations, la valeur des projets d’urbanisme transitionnel réside moins dans leurs impacts directs et marchands que dans leurs externalités. L’enjeu : impliquer davantage les parties prenantes et les habitants.
Prospective
Villes : repenser la valeur des projets d’urbanisme transitionnel
Pour mesurer de telles promesses, différentes études d’impact de tiers-lieux, de fab labs ou de projets d’urbanisme transitoire ont récemment été publiées. Ces études ont le mérite d’expérimenter de nouveaux protocoles d’évaluation pour étudier des phénomènes urbains encore émergents. Mais elles restent encore largement confidentielles. Essentiellement produites par des experts et des chercheurs, elles sont destinées à un cercle restreint d’administrateurs de l’État ou de techniciens des collectivités. Il n’existe pas encore de protocole d’évaluation global s’appuyant sur des indicateurs partagés et co-construits, qui permettrait d’évaluer et d’objectiver collectivement les phénomènes observés.
Ces études traitent des impacts directs, matériels et quantifiables de projets d’urbanisme, comme le nombre de création d’emplois ou d’entreprises, le nombre d’espaces requalifiés, de jardins partagés, d’équipements et de services urbains créés, la revalorisation économique d’espaces vacants, le nombre de projets financés ou de bénéficiaires, etc. Mais elles peinent encore à objectiver les effets externes des projets, notamment la participation citoyenne, la stimulation des processus d’innovation et d’apprentissage, la transformation des modes de faire et de l’action publique, l’amélioration de la biodiversité urbaine, de la vie de proximité et de la coopération.
Dans le domaine urbain, une externalité se produit lorsque l’activité d’une personne (d’un agent) crée un avantage (une externalité positive) ou un désavantage à autrui (une externalité négative), et ce en l’absence de toute contrepartie financière et sans que le bénéfice ou la perte n’aient été initialement planifiés. Les externalités se situent par conséquent en dehors de la programmation urbaine initiale et des échanges marchands, mais elles peuvent avoir des conséquences économiques déterminantes. On pense, par exemple, au modèle économique des laboratoires citoyens de Madrid, qui repose essentiellement sur le don/contre-don, l’échange, la confiance, le crowdfunding, la coopération, l’action en réseau et la contribution d’habitants et de collectifs. Des dimensions « hors marché », qui ne sont pas pour autant dénuées d’une profonde logique économique. Elles permettent en effet une requalification low cost voire gratuite de mobiliers urbains, d’espaces publics et d’équipements, mais aussi une revalorisation économique d’espaces vacants et de quartiers dégradés. Sans oublier la possibilité de tester de nouveaux usages et de réduire les risques d’erreur d’une programmation urbaine inadaptée (et de ses coûts induits), ou encore de capter des financements européens dédiés aux projets d’innovation urbaine et citoyenne (à l’image du programme « Urban Innovative Actions »). Ces externalités sont nombreuses, mais elles sont particulièrement complexes à observer et à mesurer. Elles sont souvent diffuses, invisibles, immatérielles et extérieures aux productions matérielles. Face à de telles difficultés, le risque serait de sous-évaluer les externalités et de réduire la portée des expériences d’urbanisme transitionnel à des actions cosmétiques ou événementielles, que d’aucuns qualifient même d’« urbanisme de palette ». Or ces expériences participent de l’invention de nouvelles démarches de développement urbain, plus en phase avec la question des communs urbains et des transitions. Par conséquent, il semble essentiel d’ouvrir la boîte noire des externalités des projets d’urbanisme tactique et transitoire afin d’en saisir la véritable portée.
L’ouverture de cette boîte noire implique un renouvellement des méthodes d’évaluation traditionnelles de l’impact, en imaginant des protocoles d’évaluation construits avec des chercheurs-experts, mais aussi des porteurs de projet et des citoyens des territoires. Les protocoles d’évaluation doivent être adaptés à l’état d’esprit des projets d’urbanisme participatif ou transitoire. Ces projets se conçoivent comme de nouvelles modalités de l’action urbaine, et mobilisent ceux qui vivent et qui font les territoires au quotidien : entrepreneurs, habitants, étudiants, acteurs publics, élus… L’étude des effets au moyen de protocoles et de mesures statistiques classiques paraît ici presque impensable. Dans cette perspective, les indicateurs doivent être construits avec les acteurs du territoire, qui vont non seulement leur reconnaître de la valeur, mais aussi se les approprier et les intégrer dans une démarche de compréhension de leur action.