La manière dont l’Afrique satisfera les besoins énergétiques croissants de sa population, jeune, en plein essor et de plus en plus urbaine, est cruciale pour l’avenir économique et énergétique du continent. De ce potentiel développement bas carbone dépend aussi l’avenir du monde.
Rédigé par Arnaud Rouget, Analyste Afrique et accès à l’énergie à l’Agence Internationale de l’Energie.
Avec plus de 2 milliards d’habitants sur le continent d’ici 2040, dont un demi-milliard de nouveaux urbains, et une industrie en fort développement, l’Afrique va connaître une hausse considérable de ses besoins énergétiques pour la production industrielle, les besoins de refroidissement (climatisation des bâtiments, filières agroalimentaire et médicale, etc.) et la mobilité. La demande d’énergie en Afrique progresse deux fois plus vite que la moyenne mondiale.
L’Afrique face à un déficit d’accès à l’énergie persistant
Dans son rapport « Africa Energy Outlook » publié récemment, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) souligne notamment que la consommation de pétrole à l’horizon 2040 va augmenter davantage en Afrique qu’en Chine. Celle du gaz naturel connaîtra également une forte croissance.
La question clé pour l’Afrique demeure celle de la vitesse de développement du réseau et du parc électrique, en particulier pour les énergies renouvelables. À ce jour, l’Afrique n’a installé que 5 gigawatts (GW) d’énergie solaire photovoltaïque, soit moins de 1 % du total mondial, alors que le continent est doté de 40 % des ressources solaires globales (tous les chiffres cités dans cet article proviennent de notre rapport).
Un chantier crucial pour les décideurs politiques est de remédier au déficit persistant d’accès à l’électricité et à des modes de cuisson propres – ainsi qu’au manque de fiabilité de l’approvisionnement électrique. Ces problèmes chroniques ont freiné le développement du continent. Près de la moitié des Africains (600 millions de personnes) n’ont pas accès à l’électricité en 2018 et environ 80 % des entreprises d’Afrique subsaharienne subissent des coupures fréquentes, entraînant des pertes économiques substantielles
Des politiques publiques insuffisantes pour créer un élan énergétique
En outre, plus de 70 % de la population, soit environ 900 millions de personnes, n’ont pas accès à des modes de cuisson propres. La pollution de l’air intérieur résultant de l’utilisation traditionnelle de la biomasse est à l’origine de 500 000 décès prématurés par an. La collecte du bois contribue également à la dégradation forestière et représente un fardeau et une perte de temps considérables, notamment pour les femmes.
Or les mesures politiques et les plans d’investissement actuels ne créent pas l’élan suffisant pour répondre pleinement aux besoins énergétiques futurs de la population africaine. L’ambition du continent d’accélérer son développement industriel continue d’être entravée dans de nombreux pays par des services énergétiques insuffisants ou peu fiables.
En l’absence de nouvelles politiques, 530 millions de personnes seront toujours privées d’accès à l’électricité en 2030 à l’échelle du continent. En revanche, certains pays comme le Kenya, l’Éthiopie, le Rwanda, le Ghana ou le Sénégal parviendront bien à garantir un accès universel à l’électricité avant cette date.
Un modèle africain de développement bas carbone est possible
L’AIE a développé un scénario à long terme intitulé « Africa Case » qui vise un développement inclusif et durable, la réduction significative des décès prématurés liés à la pollution ainsi que l’atteinte des objectifs d’accès universel à l’électricité et aux solutions de cuisson propre, en cohérence avec l’Agenda 2063 de l’Union africaine.
Selon nos projections, il serait possible de multiplier par quatre la taille de l’économie africaine au cours des vingt prochaines années, tout en découplant cette croissance économique de la consommation d’énergie. Pour s’engager sur cette voie, les gouvernements africains doivent mettre en place des politiques publiques fortes permettant l’expansion de technologies propres et l’amélioration de l’efficacité énergétique.
Ce modèle bas carbone est rendu possible par la montée en puissance des filières renouvelables. Dans notre scénario « Africa Case », la puissance du parc solaire photovoltaïque surpasse celle de l’hydroélectricité et du gaz naturel pour devenir la principale filière sur le continent en ce qui concerne la capacité installée (et la deuxième pour la production).
Un développement bas carbone plus économique
Avec de nouvelles installations dans l’ensemble de la région, le déploiement du photovoltaïque atteint en moyenne près de 15 GW par an entre aujourd’hui et 2040, un rythme équivalent à celui des États-Unis sur la même période. Dans notre scénario, les énergies renouvelables sont également la solution la plus économique pour fournir un accès à l’électricité à des millions de foyers qui en sont actuellement dépourvus, notamment dans les zones rurales où les kits solaires domestiques et les miniréseaux jouent un rôle clé.
D’immenses progrès sont également à réaliser dans le domaine de l’efficacité énergétique. Par exemple, le parc automobile local est dominé par des véhicules d’occasion vieux de presque vingt ans qui consomment en moyenne 8 l/100 km. La mise en place de standards et de limites d’âge pour l’importation permettrait de réduire ce chiffre à moins de 6 l/100 km.
Enfin, au-delà du CO₂, la réduction de la combustion inefficace de biomasse grâce à des solutions de cuisson plus propres, dont le GPL, permet d’éviter des émissions significatives de méthane et de protoxyde d’azote tout en diminuant le nombre de décès prématurés liés à la pollution de l’air intérieur.
L’avenir énergétique de l’Afrique, un choix avant tout politique
Historiquement, l’Afrique a très peu contribué aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. Même avec une très forte croissance de son économie et de sa demande énergétique, le poids du continent dans les émissions mondiales de CO₂ liées à l’énergie reste mineur et d’ici 2040, l’Afrique ne représentera que 3 % des émissions mondiales cumulées depuis l’ère industrielle.
Les aspirations de développement inclusif telles que décrites dans notre scénario « Africa Case » ne conduisent pas à une hausse significative des émissions. Faible contributeur historique aux émissions mondiales, mais région déjà très affectée par les impacts du changement climatique, l’Afrique peut devenir le continent où des niveaux soutenus d’industrialisation, d’urbanisation et de croissance économique sont possibles au prix de moins d’énergie et d’émissions que dans d’autres parties du monde.
L’avenir énergétique de l’Afrique n’est donc pas prédéterminé : plusieurs trajectoires sont possibles. Mais tout dépendra des décisions politiques : elles seules peuvent conduire le continent sur la voie d’un avenir énergétique plus inclusif et plus durable et accélérer son développement économique et industriel.
Les opinions exprimées dans ce blog sont celles des auteurs et ne reflètent pas forcément la position officielle de leur institution ni celle de l’AFD.