De « nouvelles routes de la soie durables », un défi impossible ?
Après le retrait des États-Unis de l’accord de Paris sur le climat, tous les regards se tournent vers la Chine, deuxième économie mondiale et premier pays émetteur de CO2.
La Chine se veut très active en matière de conservation de la biodiversité et de lutte contre le changement climatique. Elle sera d’ailleurs l’hôte, en octobre 2020, de la COP15 biodiversité qui aura la tâche de fixer de nouveaux objectifs mondiaux en la matière après 2020.
Mais cette ambition se traduit-elle dans les faits ?
Construction de la nouvelle route de la soie au Pakistan, 2014. Shutterstock.
Cette interrogation se pose aussi bien sur le plan domestique qu’international, à l’heure où l’initiative des « Nouvelles routes de la soie » (BRI en anglais, pour « Belt and Road Initiative ») augure une phase nouvelle de globalisation, et renforce le rôle de la Chine en tant que pourvoyeuse de financements pour de nombreux pays. Lancée en 2013 par le président chinois Xi Jinping, l’initiative visait à construire un réseau d’infrastructures – principalement de transports – entre la Chine et les pays d’Asie et d’Europe situés le long des anciennes routes commerciales de la soie. En 2017, le gouvernement chinois prévoyait de consacrer 113 milliards de dollars au financement de l’initiative.
Tandis que les émissions chinoises liées aux activités humaines auraient crû de 2,6 % en 2019, selon le Global Carbon Project, les financements chinois à l’étranger contribueront ils, eux aussi, à une croissance des émissions mondiales de CO2 et à la destruction de la biodiversité ?
143 pays concernés
À l’initiative de la BRI, la Chine finance principalement des projets d’infrastructures (tel que l’emblématique projet de construction du chemin de fer Nairobi-Mombasa ou encore le port du Pirée en Grèce) et des coopérations dans de nombreux secteurs (financier, énergétique, numérique, scientifique, éducatif, culturel ou encore dans le domaine de la santé) le long de six corridors terrestres et d’un réseau portuaire qui relient la Chine avec l’Asie, l’Europe et l’Afrique.
Les coopérations s’étendent aujourd’hui jusqu’en Amérique latine (Chili, Équateur, Costa Rica), aux Caraïbes (République dominicaine, Jamaïque) et dans le Pacifique Sud (Fidji, Vanuatu). Elles pourraient même déboucher en Arctique sur une « Route polaire de la soie » d’après les documents officiels chinois.
Début février 2020, 143 pays, soit plus des deux tiers des pays dans le monde, avaient signé des accords bilatéraux avec la Chine dans le cadre de cette initiative.
La Belt and Road Initiative (BRI), un ensemble de corridors terrestres, maritimes… bientôt polaires ? AFD, Author provided.
Les financements viennent principalement soutenir les infrastructures (ports, aéroports, chemins de fer, pipelines, centrales électriques, etc.) mais concernent également d’autres secteurs, comme la santé ou l’enseignement supérieur.
D’après nos estimations, depuis son lancement, les principaux acteurs financiers chinois (banques et fonds) ont investi entre 450 et 480 milliards de dollars dans cette initiative, soit près de 90 milliards de dollars par an.
Estimation des financements pour la BRI par les principaux acteurs chinois (montants cumulés 2013-2017) Notes : le périmètre retenu pour ces estimations correspond aux montants investis dans des « projets BRI » (Chine et hors de Chine), tels que déclarés par les institutions considérées, à l’exception de CDB Capital (filiale de CDB). En l’absence de données détaillées disponibles, le montant retenu pour CDB Capital est une estimation de l’investissement déclaré hors de Chine entre 2013 et 2017. Les quatre banques commerciales (« Big 4 ») sont l’Agricultural Bank of China (ABC), la Bank of China (BOC), la China Construction Bank (CCB) et l’Industrial and Commercial Bank of China (ICBC). AFD, Author provided
Le piège de projets peu durables.
Ces fonds portent à la fois sur des secteurs structurants pour les économies (transports, énergies en particulier) mais aussi potentiellement très émetteurs de gaz à effet de serre.
Dans une étude du World Resources Institute (WRI), des chercheurs estiment qu’entre 2014 et 2017, dans le secteur de l’énergie, 91 % des crédits accordés conjointement par les six grandes banques chinoises et 61 % des prêts de la China Development Bank (CDB) et de la banque d’import-export chinoise (China Exim Bank), finançaient des énergies fossiles.
Selon une étude de l’Institut d’économie de l’énergie et d’analyse financière (IEEFA), plus du quart des centrales au charbon en développement hors de Chine en 2018 pourrait être financé par des institutions chinoises.
Or les infrastructures financées aujourd’hui conditionnent les trajectoires de développement pour les décennies à venir. Les États concernés risquent de se retrouver piégés en raison de choix économiques débouchant sur des dégradations de l’environnement potentiellement irréversibles.
Les autorités chinoises ont pris des mesures pour favoriser la prise en compte des enjeux environnementaux.
Des lignes directrices pour promouvoir une initiative « verte » ont ainsi été publiées en mai 2017. Une coalition d’acteurs (États, agence des Nations unies, institutions académiques et entreprises) – la BRI International Green Development Coalition – a été lancée en avril 2019 pour orienter les financements vers des investissements plus verts. Des principes pour un investissement vert ont été signés par 27 institutions financières dont la China Development Bank et la China Exim Bank, les deux principales banques publiques octroyant des financements dans le cadre de l’initiative.
Pour éviter que ce verdissement ne s’apparente à du greenwashing, ces principes, lignes directrices et coalition d’acteurs devront être suivis et mis en œuvre.
Certaines mesures permettraient d’améliorer l’impact environnemental des financements octroyés : entre autres, renforcer les normes environnementales et sociales dans l’instruction et le suivi des projets, systématiser les évaluations d’impact économique, social et environnemental des projets, ou se fixer un volume de projets à co-bénéfices climat-biodiversité. Il faudrait également inscrire obligatoirement les investissements dans les trajectoires de développement durable de long terme des États, en cohérence avec leurs contributions nationales (NDCs) à l’accord de Paris et favoriser la transparence des financements alloués.
Une récente étude de la China Development Bank et du Programme des Nations unies pour le développement montre que la question de l’harmonisation des normes environnementales et sociales de financement et d’investissement est un point d’intérêt croissant pour les acteurs chinois.
Les projections d’émissions de CO2 des principaux pays partenaires de la BRI questionnent les modèles de croissance et les instruments de mesure de la prospérité. La réorientation des flux financiers (investis sur les marchés financiers ou via des programmes d’investissement publics) vers des projets durables devient urgente et fait l’objet de nombreuses discussions, tant dans les enceintes internationales et nationales, qu’au sein du secteur privé.
Fin 2019, la Commission européenne s’est accordée sur les grandes lignes d’une future taxonomie listant les activités économiques considérées durables (efficacité énergétique, énergies renouvelables, etc.). Dans cette perspective, la définition d’un référentiel commun de financement du développement durable se pose plus globalement, ouvrant la voie à une réflexion sur l’évolution des indicateurs de mesure de richesse. Des réflexions auxquelles l’ensemble des pays, Chine incluse, devraient s’associer s’ils souhaitent matérialiser leurs ambitions en matière de climat et de biodiversité.