Suffit-il de planter des arbres pour résoudre la question des gaz à effet de serre ? En l’absence des forêts mondiales, le réchauffement de la planète serait deux fois plus rapide, mais, dans les années à venir, le réchauffement climatique (s’ajoutant à d’autres pressions) pourrait avoir des effets critiques sur les écosystèmes forestiers.
Auteur : Jérôme Chave (directeur de recherche au CNRS)
Relectures : Hélène Soubelet (docteur vétérinaire et directrice de la FRB), Jean-François Silvain(président de la FRB), Hugo Dugast (chargé de communication), Agnès Hallosserie (secrétaire scientifique IPBES), Julie de Bouville (Experte en communication)
En 1954, le livre de Jean Giono, “L’Homme qui plantait des arbres”, peignait l’histoire d’un berger écologiste. Jour après jour, tout en menant ses moutons, il enterrait des graines d’arbres au hasard de ses chemins, et, après des années, des paysages entiers étaient de nouveau couverts de forêts. Cette fable de l’action de l’Homme dans la durée est évocatrice et inspirante. En 2006, le programme des Nations Unies pour le développement lançait la Campagne pour planter un milliard d’arbres qui à ce jour revendique plus de 15 milliards d’arbres plantés.
Aujourd’hui l’enjeu de la forêt est associé à celui des changements climatiques. Planter des arbres aide sans nul doute à lutter contre ces changements. Lorsqu’ils grandissent, les arbres fixent le dioxyde de carbone, le principal gaz à effet de serre. Sans les forêts mondiales, le réchauffement de la planète serait deux fois plus rapide. L’accumulation de carbone concerne non seulement les arbres, mais aussi les sols, qui séquestrent près de la moitié du carbone d’un écosystème forestier. Seulement, la captation du carbone par les forêts ne suffit pas, à elle seule, à endiguer le changement climatique. De plus, dans les années à venir, ces changements pourraient avoir un effet adverse sur les forêts.
La contribution des forêts à l’atténuation aux changements climatiques est menacée… par les changements climatiques
En effet, les arbres sont des organismes vivants. Les sécheresses ou les tempêtes peuvent avoir un impact dramatique sur leur survie. Fin 1999, la tempête qu’a connu la France a conduit à l’abattage de plus de 140 millions de mètres cube de bois, plus de trois fois la production annuelle. On sait que ces événements extrêmes deviennent plus fréquents à cause des changements climatiques.
La canicule de l’année 2003, en France, en est un exemple. Les forêts françaises ont vécu un épisode de surmortalité des arbres. Les sécheresses majeures conduisent à leur affaiblissement, et une mortalité accrue l’année qui suit (Bréda et al., 2006 ; Brienen et al., 2015).
Lors d’une sécheresse, les arbres réagissent pour éviter la déshydratation. Pour conserver l’eau, les feuilles ferment leurs stomates, petits organes qui permettent les échanges gazeux entre l’air et les feuilles. Ce faisant, elles ne peuvent plus assurer la photosynthèse, ni fixer du dioxyde de carbone de l’air, et s’affaiblissent après quelques semaines. Les arbres fragilisés sont ceux qui sont les plus exposés aux maladies ou aux parasites l’année suivante. Les sécheresses conduisent donc, directement ou indirectement, à augmenter la mortalité des arbres.
En Amazonie, un dispositif expérimental a été mis en place pour exclure artificiellement la moitié de l’eau de pluie dans une parcelle de forêt locale. Après 15 ans, une surmortalité significative des arbres et une chute de plus de 40 % des stocks de carbone ont été observées (Rowland et al., 2015). Les sécheresses plus fréquentes augmentent les risques de mortalité des arbres. Le carbone des arbres morts est retransformé en dioxyde de carbone, un processus dû à un cortège de décomposeurs des tissus vivants, incluant des arthropodes, des champignons et des bactéries.
Une fois l’arbre en fin de vie, que devient le bois ?
En plus du problème de l’incidence des événements extrêmes se pose la question de la gestion des forêts. Si les feuilles n’ont qu’une courte durée de vie, le carbone dans le bois du tronc, des branches et des racines, est stocké pour des décennies dans les arbres. Il ne s’agit donc pas seulement de planter des arbres, mais de savoir ce que devient le carbone fixé.
Le carbone contenu dans le bois de chauffe sera intégralement relâché dans l’atmosphère, une fois le bois brûlé. Par contre, celui contenu dans le bois d’œuvre peut être stocké pour plusieurs siècles. Savoir si planter des arbres est bon ou non pour le climat dépend donc largement de l’usage pour lequel les arbres sont plantés. Le problème se pose d’autant plus que des politiques énergétiques appellent à une plus grande utilisation du bois énergie.
L’impact qu’auront les changements climatiques sur les émissions de carbone est ainsi directement lié à la démographie des arbres, c’est-à-dire leur taux de régénération, de croissance et de mortalité, car des études scientifiques nombreuses, dans plusieurs régions, suggèrent en effet qu’elle peut être altérée par le climat (Allen et al., 2010).
Les stocks de carbone des forêts mondiales représentent plus de 800 gigatonnes1 de carbone (Pan et al., 2011), à comparer aux émissions humaines actuelles de 10 gigatonnes de carbone par an. Ainsi, augmenter les surfaces de forêt de 1 % par an pourrait compenser presque toutes les émissions de CO2 issues des énergies fossiles.
En France métropolitaine, 17 millions d’hectares sont aujourd’hui couverts de forêts, soit environ 30 % du territoire et près de deux fois plus qu’au XIXe siècle où les forêts n’occupaient que 10 millions d’hectares. À l’échelle mondiale, en revanche, la demande de terres pour les agro-industries reste un facteur principal de déforestation sous les tropiques (Curtis et al., 2018). Dans les régions tempérées, l’exploitation du bois reste la cause principale de déforestation. La déforestation équivaut à un risque direct pour le réchauffement climatique.
Les écosystèmes forestiers, au-delà des stocks de carbone
Giono revendiquait une vision bienveillante de l’arbre. On plante des arbres pour les générations à venir. Aujourd’hui, on peut constater, peut-être regretter, que la gestion forestière répond essentiellement à des critères économiques. Ces calculs ignorent que la forêt recèle aussi une biodiversité unique et que cette biodiversité n’est rencontrée que dans les forêts anciennes, pratiquement disparues en Europe et en voie rapide d’érosion partout sur la planète. Les plantations peuvent apporter un service en matière de provision de bois et de stockage de carbone, mais pas en termes de biodiversité.
Des stratégies d’atténuation des changements climatique ignorent enfin trop souvent les processus de consultation des communautés locales, qui dépendent au quotidien directement des ressources forestières. Les enjeux globaux de gestion des forêts doivent donc être évalués à l’aune de l’impact qu’ils peuvent avoir sur les communautés d’habitants qui en dépendent en lien avec les bénéfices multiples qu’elles retirent de la nature.
Un article paru en janvier 2019 à l’occasion de la sortie du rapport mondial de l’IPBES en mai 2019
1. 1 gigatonne = 1015 grammes
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