L’UNESCO facilite la coopération scientifique à l’échelle mondiale afin de trouver des solutions locales aux problèmes globaux. Meriem Bouamrane, économiste de l’environnement et chef de section recherches et politiques du MAB, revient dans cette interview sur l’évolution du programme depuis son lancement et sur son approche collaborative.
Créé en 1971 par l’UNESCO, le programme sur l’Homme et la biosphère (MAB) s’est doté depuis son début d’un objectif ambitieux — favoriser l’émergence d’une base scientifique permettant d’améliorer les relations entre l’humain et la nature. Son approche interdisciplinaire, et révolutionnaire à l’époque, était destiné à permettre l’application pratique des sciences naturelles et sociales, de l’économie et de l’éducation pour améliorer les conditions de vie des populations et répartir de façon plus équitable les bénéfices économiques d’un territoire tout en préservant son patrimoine naturel et sa biodiversité. A l’approche du 50e anniversaire du programme en 2021, Meriem Bouamrane, économiste de l’environnement et chef de section recherches et politiques du MAB, revient sur son évolution et sur l’importance d’aborder les efforts de conservation de l’environnement à travers une approche collaborative, aussi bien entre l’humain et la nature qu’au sein de la communauté internationale.
Compte tenu des défis actuels liés à la conservation de la biodiversité, quels sont les objectifs du programme ?
Au départ, le programme a été créé avec un objectif très scientifique, pour que des chercheurs de différentes disciplines travaillent en coopération sur des enjeux qui concernent toute la planète. La notion d’interdisciplinarité, et l’idée que l’humain fait partie des interactions au sein de la biodiversité existait déjà à l’époque — c’est pourquoi l’humain a toujours été au cœur du programme. Depuis, le MAB a créé le Réseau mondial des réserves de biosphère, afin d’étudier de manière plus approfondie ces interactions entre humains et biodiversité au sein de différents écosystèmes dans le monde, observer les interdépendances et en tirer des leçons. C’est grâce à ce projet de recherche, qui est devenu un des piliers d’action du programme, que les objectifs du MAB ont évolué. Aujourd’hui, le but c’est de partager au delà des frontières de ces sites toutes les leçons apprises; de montrer qu’il est possible pour l’être humain de vivre en harmonie avec la nature dans tous les écosystèmes. Nous traversons une crise sanitaire qui a ses racines dans la manière dont l’humain habite sur terre et comment il perçoit ses relations aux autres espèces du monde vivant. L’un des objectifs actuels pour le MAB est donc de contribuer à clarifier nos interdépendances et nos manières de gérer harmonieusement nos relations avec le monde vivant afin de partager les solutions, les bonnes pratiques et les données scientifiques pour qu’on repense complètement notre manière d’habiter la terre et nos relations avec les autres espèces.
Le programme compte aujourd’hui 701 réserves de biosphère réparties dans 124 pays. Quel est le rôle de ces réserves ?
Ces réserves sont des territoires de vie —qui incluent également des villes—, où l’on réconcilie des activités de conservation de la biodiversité, des écosystèmes et leur utilisation durable. L’objectif est que tout un territoire et ses habitants —parfois des millions de personnes— puissent se créer une plateforme de coopération et de créativité pour vivre et habiter dans ces différents écosystèmes sans les détruire. Il s’agit à chaque fois d’une initiative locale, portée par plusieurs acteurs —des municipalités, des villes, des mairies, des associations et des individus—, qui se donnent des objectifs sur une période de temps donnée, pour arriver à vivre et à créer des emplois tout en conservant la biodiversité du territoire. Si le projet de réserve de biosphère contient les trois objectifs nécessaires —de conservation, de développement économique et de partage de connaissances et d’apprentissage—, le site est reconnu par l’UNESCO comme faisant partie du réseau mondial. Ce sont des territoires solidaires, engagés les uns avec les autres, où l’on va coopérer et fédérer tous les bonnes énergies pour avancer sur des objectifs communs, partager des solutions innovantes et inspirer par l’exemple dans tous les domaines, que ce soit l’énergie renouvelable, le recyclage, l’éducation sur le vivant, l’agriculture responsable, ou autre.
L’application pratique du programme se veut interdisciplinaire. Concrètement, qu’est-ce que cela implique pour les réserves et au sein de l’UNESCO ?
Il y a plusieurs modalités d’organisation et de mise en œuvre du programme car, comme la crise qu’on traverse actuellement le démontre, on a besoin de l’expertise et du savoir faire de tout le monde pour mettre en synergie les expériences, les bonnes pratiques et les connaissances, y compris scientifiques. Donc, en général, chaque réserve de biosphère possède un programme scientifique interdisciplinaire, très souvent doté d’un comité scientifique qui va appuyer l’équipe de gestion locale de la réserve pour mettre en œuvre les activités et les objectifs clés qu’ils se sont fixés. Notre rôle au sein de l’UNESCO est de les soutenir, de coordonner au niveau régional et global, d’agir comme des gardiens des principes et des valeurs du programme, et de créer des synergies entre les réserves de biosphères pour qu’elles puissent s’entraider. Autrement dit, de faciliter les rencontres, en organisant par exemple des réunions entre les membres du réseau sur des thématiques telles que les zones côtières, les îles, le changement climatique, l’économie solidaire et durable, pour favoriser la créativité et la coopération au niveau mondial. Nous veillons à favoriser cette intelligence collective car c’est grâce à elle qu’on trouve des solutions.
Certains écologistes croient que le meilleur moyen de conserver la nature c’est de ne pas la toucher. Votre approche collaborative est-elle plus efficace ?
Il s’agit d’une question de vision du monde et de contexte. Si l’on dit que le problème c’est l’être humain, on va naturellement vouloir le retirer de l’équation. Mais le problème est beaucoup plus complexe. Si nous reconnaissons la place qu’on a dans la chaîne du vivant et que nous sommes des habitants temporaires de cette planète terre, qu’il y a des interdépendances, que nous sommes nous mêmes constitués d’éléments qu’on retrouve dans le vivant —l’eau, l’air— alors quelles qu’elles soient nos différences et nos diversités culturelles, on peut redonner le désir à l’être humain de se transformer en protecteur ou gardien de la terre. Certaines sociétés et communautés le font très bien depuis de millénaires. Nous sommes donc complètement capables de vivre sur cette terre, de nous alimenter, de voyager, de créer des activités économiques sans détruire le vivant. Il est vrai qu’on a accéléré cette destruction ces 30 dernières années. Mais, pourquoi ne serait-on pas capables de changer de trajectoire ? Comme dans un jardin, il y a des moments où il faut semer la graine, puis l’arroser et laisser la nature faire son travail : le rôle de l’être humain c’est de veiller à ce que ce cycle naturel soit respecté et soutenu. Si l’on continue à considérer l’humain seulement comme le problème, on va continuer à le séparer du vivant, alors que l’enjeu actuel c’est que l’ensemble des êtres humains sentent qu’ils ont une responsabilité, un rôle à jouer et une influence sur ces crises par leurs choix de consommation et de production, par leurs manières de s’alimenter et d’interagir avec les autres espèces vivantes. Nous ne sommes pas déconnectés de la nature, nous en faisons partie.
Peut-on réconcilier croissance économique et préservation de la nature?
Les indicateurs qu’on utilise pour mesurer la croissance et le PIB ne sont pas adaptés à nos enjeux et ne rendent pas compte des interdépendances que nous avons avec le vivant. Il est temps de repenser complètement la vision de l’économie et les fondements de notre richesse. La vie humaine sur terre peut survivre, même très difficilement, à un effondrement social ou économique, mais elle ne peut pas survivre à un effondrement des écosystèmes. La biodiversité, ne se réduit pas à des espèces d’oiseaux ou des pandas : elle se vit en terme d’interactions entre tous les différents êtres vivants, y compris l’être humain. On ne peut pas manger, boire ni respirer sans cette nature, ces écosystèmes et ces interactions. C’est sur ce socle qu’on peut créer des liens sociaux et des sociétés, où l’on se met d’accord sur des règles et des valeurs qu’on partage, et sur la base de ces valeurs on crée des systèmes économiques résilients. L’enjeu actuel est de reconnaître que la véritable richesse économique vient conserver le vivant, pas de le détruire et donc de repenser complètement les indicateurs et la manière dont on interagit avec ce vivant. C’est un terrain d’innovations, mais il existe déjà quelques pistes, notamment la comptabilité écologique, où l’on va rendre compte de la dépendance des entreprises au monde vivant et de l’impact de leurs activités sur le vivant. Il est important qu’elles incluent dans leurs comptes les coûts de maintenance des services écosystémiques fournis par la nature et les coûts de restaurer ces services lorsqu’ils ont été détruits. C’est une transformatión profonde: il nous faut une économie au service du vivant et de l’être humain — et c’est maintenant qu’on peut le faire.
Cet article a été écrit dans le cadre d’une série produite pour open_resource par Sparknews, une entreprise sociale française qui vise à faire émerger des nouveaux récits pour accélérer une transition écologique et sociale à la hauteur des enjeux de notre époque.