Le changement climatique et ses conséquences notamment, n’affectent pas un seul pays. Un droit de l’environnement existe depuis les années 60 et de nombreux traités internationaux prévoient des mesures pour contrer certains comportements jugés destructeurs de nos environnements, mais aucun d’eux ne codifie le droit de l’environnement ou ne criminalise la destruction de l’environnement. De nombreux avocats et organisations font campagne afin de faire de la destruction de l’environnement un crime international. (Greene 2019).
Rédigé par Charlotte Fouillet
Article en attente de relecture par un·e spécialiste
Le terme « écocide » vient du greck oikos, « notre maison », et du latin cidere « tuer ». Des militants en ont fait usage parfois pour évoquer des actes qui ne sont pas encore criminalisés par le droit, ou des peuples indigènes pour décrire la destruction de leur environnement et leur culture (Crook, Short, South 2018). Sa définition n’est en revanche nulle part codifiée par le droit international. Le terme écocide porte à la fois une rhétorique qui stigmatise certains actes ou omissions, et une ambition, celle de criminaliser ces actes. (White 2018, Lindgren 2018). La discussion autour de la criminalisation de la destruction de l’environnement est large et prend plusieurs formes. Nous présenterons principalement les discussions autour de la notion d’écocide notamment dans le cadre des statuts de Rome
Ecocide, génocide, crime contre la paix ou crime de guerre ?
Le terme d’écocide n’est pas nouveau, son origine peut être tracé au moins à partir des années 70 et il apparait dans les premières versions du projet du statut de Rome alors nommé Projet de code des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité. De 1972 à 1996, la notion d’écocide est fréquemment pensée dans le cadre de la définition du génocide (Higgins, Short, South 2013).
Le terme est utilisé en 1970, pour évoquer l’agent orange utilisé pendant la guerre du Vietnam. Le Professeur Arthur Galston, qui avait écrit son doctorat sur ce pesticide alors utilisé par les Etats Unis lors de la guerre du Vietnam afin notamment de défolier les forêts, propose un accord international pour interdire l’usage de ce produit et évoque dans ce cadre l’ambition d’« interdire l’écocide ». A sa suite, la première mention du terme dans le cadre du droit est accordée au professeur Pettigrew qui définit l’écocide comme la destruction importante d’une part de l’écosystème ou une dégradation déraisonnable de l’environnement dans son ensemble, et rappelle que l’environnement est composé d’écosystèmes interdépendants et que le dommage causé à l’un affecte l’ensemble.
Lors de la conférence de Stockholm en 1972, un groupe de travail est formé sur une « loi contre le génocide et l’écocide ». Ce groupe propose un projet de convention sur l’écocide qui sera publié en 1973 par un de ses membres, le professeur Falk. (Greene 2019, Higgins, Short, South 2013). En 1978, la sous-commission des nations est appelée à évaluer l’efficacité de la Convention sur le génocide de 1948. Pour cela elle envisage d’intégrer à la convention de nouveaux éléments tels que l’écocide et le génocide culturels qui n’y avaient pas été retenus. En effet, pour Lemkin qui forge le concept de génocide en 1933, le concept de génocide culturel est central et passe notamment par la destruction des conditions de vie et d’existence culturelle d’une population. Cet aspect n’est cependant pas retenu dans les statuts de Rome. Et la définition du génocide se retreint au meurtre de masse intentionnelle et racialement motivé. De la même façon, l’étude commandé en 1978 ne retiendra finalement pas l’inscription de l’écocide dans le cadre de la législation concernant le génocide. Le rapporteur mentionne notamment le manque de définition légale de l’écocide et la crainte que cette inscription ne nuise à la force de la convention concernant le génocide. Une mise à jour du rapport en 1985 mentionne notamment que le crime d’écocide devrait être inscrit comme crime contre l’humanité plutôt que comme un acte de génocide (Greene 2019).
Les discussions continuent sur cette base, pour le projet d’article 26 qui doit porter sur les dommages causés à l’environnement et mentionne « une personne qui cause ou ordonne volontairement des dommages graves et à long terme à l’environnement naturel doit être condamné ». La question de « l’intention » est au centre de la discussion entre les états. Le crime d’écocide doit-il être intentionnel ? La réponse reste ouverte et l’article 26 est finalement totalement supprimé en 1996 dans des conditions que les archives disponibles ne permettent pas de retracer précisément. La mention de l’écocide sera finalement seulement inscrite comme crime de guerre à l’article 8. (Higgins et al. 2013).
L’écocide, un crime « normal »
Les lois n’existent pas hors contexte, et les Etats et les multi nationales ont un pouvoir pour influencer ce que définit le cadre légal. Alors que les conséquences du changement climatique sont connues et inévitables, les Etats se rendraient complices à la fois par ce qu’ils font (être dépendant des énergies fossiles), et ce qu’ils ne font pas (ne pas parvenir à réguler les émissions de CO2). (White 2018).
De plus, les Etats soutiennent et permettent aux entreprises fortement émettrices de CO2 de prospérer, en accordant notamment des avantages fiscaux aux grandes entreprises, indifférents à leur impact environnemental. Dans certains cas, Etats et entreprises participeraient conjointement à transgresser la loi ou assouplir les règles (White 2018). Mais généralement, c’est le comportement normal des multi nationales qui est en jeu. Ainsi des dommages environnementaux colossaux sont commis dans la poursuite de résultats commerciaux « normaux ». La majorité des dommages dont sont responsables les grandes entreprises, n’ont pas un caractère exceptionnel. Et si certaines industries dites « sales » sont particulièrement stigmatisées (charbon, pétrole), l’impératif global d’élargir et d’augmenter la production s’applique à toutes les industries inscrites dans un mode de production capitaliste – , il existerait ainsi un lien identifiable entre le capitalisme en tant que système et la dégradation et la transformation de l’environnement. Dont les coupables, les « criminels du carbone » sont identifiables (White 2018). D’autre part, de nombreux exemples qui pourraient être qualifiés d’écocide sont des accidents, comme Chernobyl ou la marée noire de Deepwater Horizon.
Enfin si la destruction écologique se produit parfois à la suite d’un événement (comme une explosion nucléaire ou une marée noire), il est souvent le résultat de nombreuses petites actions non dramatiques, par de nombreux individus sur de nombreuses années. Aucun individu n’a détruit les récifs coralliens, ou mis en danger la survie des lamantins. L’environnement est si vaste, et les interactions si diverses que la causalité peut être impossible à discerner ou à prouver en justice.(Greene 2019).
L’ecocide serait alors un crime « sans faute » (Cabannes 2016), et il conviendrait de le penser en un terme de responsabilité stricte qui ne se base plus sur l’intention de nuire, mais sur le dommage effectivement causé (Higgins and al. 2013) ou au minimum dans le contexte d’un dommage « raisonnablement prévisible » (Lindgren 2019). Dans le même temps si le régime de responsabilité des dommages causés à l’environnement est difficile à appréhender dans un cadre légal, il n’en reste pas moins qu’en pratique, les plus touchés sont souvent les moins responsables, c’est le cas par exemple des peuples indigènes qui sont les premières victimes du projet de sables bitumeux d’Athabasca au Canada, qui impacte directement les forêts, les rivières et les sols dont ils dépendent. (Short 2016) et que les dommages causés à l’environnement créent une division entre ceux qui provoquent ces dommages et ceux qui les subissent, entre pays, mais aussi entre populations, et creusent ainsi les inégalités socio-économiques.
Législations actuelles sur l’écocide
Au niveau international, il existe plusieurs centaines de traités qui concernent l’environnement, mais sur des aspects spécifiques et très peu imposent une mise en place de législation dans les pays signataires comme c’est le cas notamment de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction ou la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination. (Greene 2019). En temps de guerre la destruction de l’environnement est condamnée dans le cadre des statuts de Rome. Notamment invoqué pour la guerre du Vietnam, et l’explosion des puits de pétroles et la pollution qui en résulte pendant la première guerre du Golf en Iraq et au Koweit. Mais en pratique les poursuites sont difficiles et seraient selon certains commentateurs, impossibles à mettre en place du fait de conditions d’application trop restrictives. (Freeland 2014, Neyret 2014, White 2018). L’article 8, b, iv du Statut de Rome disposant que « le fait de diriger intentionnellement une attaque en sachant qu’elle causera incidemment des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel qui seraient manifestement excessifs par rapport à l’ensemble de l’avantage militaire concret et direct attendu. »
Au niveau national, bien que les discussions lors du projet des statuts de Rome n’aient pas abouti, plusieurs pays se dotent d’une législation spécifique, et inscrivent dans leurs codes pénaux une formulation proche des dernières versions du projet de l’article 26 et condamnent la destruction de l’environnement. Ainsi le Vietnam et le premier pays à adopter une loi contre l’écocide en 1990, suivi de l’URSS, La Moldavie, le Kyrgyzstan, le Kazakhstan, la Biélorussie, l’Ukraine, l’Arménie et la Géorgie (Higgins et al. 2013). D’autres, prévoient au contraire d’accorder à la nature des droits supplémentaires. La constitution Equatorienne de 2008 et une loi bolivienne de 2011 accordent des droits à la Terre mère et un droit de réparation le parlement Néo-Zélandais reconnais la qualité de sujet de droit au fleuve Wanganui, et la justice indienne au Gange et à l’Himalaya. (Neyret 2018). Le Guatemala a récemment fait passer une loi contre l’écocide et créer une cour de l’environnement à cet effet. Les effets de ces législations nationales restent cependant limités et les enjeux de pouvoirs entre gouvernements et multi nationales les rendent parfois totalement ineffectifs (Greene 2019).
Enfin en 2016, le procureur de la cour pénale internationale, produit un Document de politique générale relatif à la sélection et a la hiérarchisation des affaires selon lequel les crimes dont il aura résulté une destruction de l’environnement, une exploitation des ressources naturelles ou une dépossession illégale des terres seront prioritaires, soit que les crimes dont il résultera une destruction de l’environnement seront considéré comme plus grave. Cela pourrait tendre à compenser l’effet de l’abandon d’un 5e crime contre l’humanité relatif au crimes environnementaux. (Greene 2019).
Campagne et argumentaire pour un crime international d’écocide
En 2010, Polly Higgins propose d’amender le statut de Rome pour y inscrire le crime d’écocide comme le 5e crime contre l’humanité, auprès des quatre crimes que sont le génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et le crime d’agression et la placer sous la juridiction de la Cour Internationale de Justice. Cette proposition s’inscrit notamment dans le cadre de la campagne de l’organisation « Eradicating Ecocide ». Elle est également portée par d’autres groupes tel que « End Ecocide on Earth ». Et vise ainsi à élargir la portée de la Cour en y incluant des offenses qui affectent les écosystèmes de la planète (Crook, Short, South, 2018).
En 2014, le groupe « End Ecocide Earth » à présenté 170 signatures au parlement européen pour une loi contre l’écocide. En 2016, le tribunal international de Monsanto, initié par la société civile, interroge si les activités de Monsanto pourrait être considérées comme un écocide, définissant celui –ci comme « causant de graves dommages ou détruisant l’environnement, de manière à modifier de manière significative et durable les biens communs services écosystémiques dont dépendent certains groupes humains. » (Schwegler 2017). En 2017 le parti vert européen a étudié un projet de résolution pour une reconnaissance internationale du crime d’écocide. En 2018, le dictionnaire Cambridge a ajouté écocide à son dictionnaire « destruction ou important dommage causé à l’environnement naturel d’une zone » (Greene 2019).
Pour ses soutiens, un crime international d’écocide pourrait à la fois permettre de réduire la menace d’écocide pour les écosystèmes et ceux qui en dépendent, rediriger les investissements, faire de l’assistance un devoir légal (Higgins et al, 2013), avec notamment la possibilité d’établir des droits pour les victimes comme par exemple un statut de réfugié climatique (Cabannes 2016). Il serait nécessaire pour imposer les traités internationaux et dissuader des destructions environnementales. Afin que les compagnies ne puissent pas seulement considérer ces dommages comme des coûts d’exploitations (Greene 2019, White 2019).
Pour certains commentateurs en revanche, la cour pénale international de justice ne serait pas le forum approprié pour un tel crime, notant notamment que les 4 crimes de bases des statuts de Rome (crime contre l’humanité, crime de guerre, crime d’agression, génocide) ont en commun d’avoir été reconnus par des conventions des nations unies avant le traité de Rome, et d’avoir été porté par des tribunaux internationaux. Notamment sur le lien entre génocide et écocide la question de l’intention qui distingue génocide et écocide, ou critiquent le fait qu’il mimique le terme génocide dont l’évocation manquerait de pertinence et ne permettrait ainsi notamment pas de prendre en compte des crimes contre l’environnement de petite ampleur (Greene 2019). Pour d’autres c’est une lecture centrée sur une conception occidentale du rapport à la nature et à la connaissance qui serait mis en cause par la non reconnaissance du lien entre écocide et génocide dans le droit international, et la difficulté du droit à prendre en compte les violences institutionnelles et systémiques (Crock et al. 2018) et si une loi internationale sur l’écocide ne préviendra probablement pas de nouveaux crimes ou dommages contre l’environnement, il pourrait être un levier utile dans les luttes réelles dans lesquelles sont prises notamment les populations indigènes, et leur fournir un instrument qui pourrait être déployé pour légitimer des actions de résistances notamment de ceux qui se battent pour leurs vies et leurs modes de vie (Lingrend 2019). Dans le même temps d’autres forums, d’autres expériences doivent ou pourraient être envisagées, et qui laissent notamment une place à une vision indigène de la justice.
Crook, M., Short, D., & South, N. (2018). Ecocide, genocide, capitalism and colonialism : Consequences for indigenous peoples and glocal ecosystems environments. Theoretical Criminology, 22(3), 298‑317. https://doi.org/10.1177/1362480618787176
Freeland, S. (2015). Addressing the intentional destruction of the environment during warfare under the Rome Statute of the International Criminal Court. Intersentia.
Greene, A. (s. d.). The campaign to make ecocide an international crime : Quixotic quest or moral imperative? 49.
Higgins, P., Short, D., & South, N. (2013). Protecting the planet : A proposal for a law of ecocide. Crime, Law and Social Change, 59(3), 251‑266. https://doi.org/10.1007/s10611-013-9413-6
Kalkandelen, K., & O’Byrne, D. (2017). On ecocide : Toward a conceptual framework. Distinktion: Journal of Social Theory, 18(3), 333‑349. https://doi.org/10.1080/1600910X.2017.1331857
Lindgren, T. (2018). Ecocide, genocide and the disregard of alternative life-systems. The International Journal of Human Rights, 22(4), 525‑549. https://doi.org/10.1080/13642987.2017.1397631
White, R. (2015). Ecocide and the Carbon Crimes of the Powerful. In The Routledge International Handbook of the Crimes of the Powerful (p. 22).
White, R. (2017). Criminological Perspectives on Climate Change, Violence and Ecocide. Current Climate Change Reports, 3(4), 243‑251. https://doi.org/10.1007/s40641-017-0075-9