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Resilience Thinking, ou la pensée résiliente : une autre manière de relever les défis du changement climatique

 

On associe souvent le terme résilience au fait de rester heureux en dépit des difficultés que l’on rencontre. Mais lorsqu’il s’agit de faire face à des défis considérables comme celui du réchauffement climatique, ce concept peut s’avérer plus complexe et même devenir un outil capable d’opérer des changements systémiques, explique le Dr Garry Peterson, professeur au Centre de résilience de l’Université de Stockholm. Interview.

Depuis longtemps, on associe le concept psychologique de résilience à l’aptitude humaine de résister ou de rester heureux face à l’adversité. C’est en tout cas la définition que propose le dictionnaire de Cambridge, qui définit la résilience comme la capacité d’être heureux ou de réussir après avoir vécu une épreuve difficile, en l’assimilant à un trait de caractère proprement humain. Mais lorsqu’il s’agit de faire face à des épreuves difficiles à l’échelle mondiale, telles que le réchauffement climatique ou une pandémie, le fait de réduire le concept à une aptitude individuelle peut être limitant, avertit le Dr Garry Peterson, professeur en sciences de l’environnement, spécialisé dans la résilience et les systèmes socio-écologiques au Stockholm Resilience Centre. La pensée résiliente, ou resilience thinking en anglais, assure-t-il, pourrait non seulement aider l’humanité à s’adapter aux défis environnementaux mais lui permettrait également de s’attaquer à la source du problème.

Qu’est-ce qu’être résilient veut dire dans un contexte de crise sanitaire et climatique ?

La résilience est la capacité à naviguer au sein du monde, à garder ce que l’on veut et à changer ce que l’on ne veut pas. Pour mes collègues et moi-même, la pensée résiliente est aussi une manière utile d’appréhender le monde. De ce point de vue, le monde tout entier ne peut lui-même pas être résilient. Pour conserver les choses que nous voulons garder, telles que le monde vivant, nous devons diminuer la résilience des choses que nous ne voulons pas, comme les émissions de gaz à effet de serre. Le changement et la transformation exigent que certaines choses perdent leur résilience.

Depuis le début de cette crise [de covid-19], nous constatons que la capacité des gens à faire face à la pandémie varie selon les endroits et les personnes, comme le montre depuis des décennies la recherche sur la résilience aux catastrophes. La résilience de chacun est fortement influencée par l’histoire, la politique et les structures sociales. Souvent, ceux qui ont du mal à faire face à ce type de crises, ce sont principalement les personnes en situation de précarité, car la société a été conçue et construite pour les rendre moins résilients. Prenons l’accès aux parcs par exemple : si l’on a des parcs près de chez nous, on peut sortir, faire du sport, rencontrer des amis et se reconnecter à la nature, mais si nous n’avons pas cet accès aux parcs dans notre quartier, on ne peut rien faire. Ainsi, l’une des façons dont la société pourrait renforcer la résilience des individus, ce serait en garantissant un accès à la nature et aux parcs à tous.

Globalement, nous savons que le coronavirus et le changement climatique ont été produits par notre système économique, qui phagocyte le monde vivant. Pour construire une planète durable, nous devons diminuer la résilience du système économique actuel et construire la résilience d’un mode de vie alternatif. Le grand problème de la durabilité réside dans le fait que beaucoup de ces systèmes sont pathologiquement résistants au changement.

N’importe qui peut devenir plus résilient pour mieux résister à ce type de crises ?

La résilience est parfois considérée comme un trait de personnalité des individus, mais je pense qu’il est plus utile de la considérer comme une propriété systémique. Tout le monde peut appliquer la pensée résiliente — appréhender le fonctionnement du monde via la notion de résilience — dans sa vie quotidienne. Mes collègues et moi utilisons souvent sept principes de cette pensée, dont deux sont souvent négligés, comme ça a été le cas pendant cette pandémie. Il s’agit d’une part de l’importance de maintenir la diversité et la redondance dans un système, et de l’autre, de favoriser une réflexion sur la complexité du monde. Les systèmes divers, qu’il s’agisse d’écosystèmes ou d’organisations, sont généralement plus résilients que les systèmes moins diversifiés. Encourager la réflexion sur la complexité du monde signifie accepter l’imprévisibilité et l’incertitude pour mieux s’y préparer et embrasser une multitude de perspectives possibles. Ainsi, n’importe qui peut se servir de la pensée résiliente pour interpréter le monde, et l’utiliser comme un outil pour améliorer la résilience des systèmes qu’il ou elle souhaite conserver tout en réduisant la résilience des systèmes dysfonctionnels ou dangereux.

Comment peut-on se préparer à l’imprévisible ?

La résilience repose sur l’idée que le monde est tumultueux et l’avenir incertain. De nombreuses organisations utilisent la réflexion sur l’avenir [Futures thinking, en anglais] pour s’interroger sur cette incertitude, mieux planifier et développer des outils pour y faire face. La pensée résiliente suggère que les organisations sous-estiment souvent la variété des futurs auxquels elles doivent se préparer, et prend en considération leur capacité d’apprentissage. Dans la gestion de l’environnement, par exemple, la résilience a été étroitement liée à la gestion adaptative. Selon cette dernière, les règles d’une organisation devraient être conçues pour la rendre résistante à l’incertitude et aux surprises, lui permettre d’apprendre du monde qui l’entoure et améliorer ainsi sa gestion de l’avenir. Les approches liées à l’apprentissage sont nécessaires, car la planification et la réflexion sur l’avenir ne tiennent souvent pas compte des changements ou des transformations structurelles et sous-estiment ce qui peut arriver. L’année 2020 en est un excellent exemple.

Vous avez étudié de manière approfondie les changements systémiques abrupts. Le système global peut-il être entièrement transformé en procédant par de petites étapes ?

La temporalité est l’oeuvre de celui qui regarde. Vingt ans peuvent être considérés comme une période abrupte si l’on considère l’histoire globale de la planète, alors qu’il ne s’agit que d’une génération d’un point de vue humain. L’un des domaines de la pensée résiliente étudie la transformation systémique et la manière dont elle peut ou ne peut pas se produire. Les chercheurs ont compris quels étaient les types de conditions requises pour opérer un changement systémique, et ils ont également compris qu’il est très difficile de prévoir ou d’organiser ce changement, car son succès ou son échec dépend souvent d’événements aléatoires. Tout ce que nous pouvons vraiment faire, c’est analyser quelles situations ou quels efforts menés pour opérer un changement sont à même de provoquer une transformation systémique à un certain degré, et lesquels n’en provoqueront probablement pas. Lorsque nous regardons l’histoire, nous observons souvent que c’est l’avènement de différents événements auxquels les gens ne s’attendaient pas qui a conduit à un changement transformationnel — des événements difficiles, voire impossibles à reproduire ou à provoquer de manière volontaire. Mais, comme l’avenir est imprévisible, il y a de l’espoir. Nous pouvons favoriser les conditions nécessaires pour qu’un changement systémique se produise. Nous pouvons le faire en préparant le système avec des modes d’organisation alternatifs, en prêtant attention aux fenêtres d’opportunité qui bouleverseraient ou affaibliraient le statu quo, afin que la meilleure alternative puisse prendre le dessus —encore une fois, en fonction d’un certain nombre d’événements contingents—, et ensuite, si elle réussit, cette alternative peut se stabiliser et devenir le nouveau statu quo.

La pensée résiliente pourrait-elle aider à lutter contre le changement climatique ?

Nous l’espérons. Un grand nombre de scientifiques réfléchissent à la résilience mondiale sous différents angles pour orienter l’action sur le changement climatique. Nous devons essayer de nombreuses approches différentes, et cette approche attire beaucoup de personnes ou d’organisations car elle sert à élaborer des stratégies de changement qui peuvent être efficaces. Par exemple, un de mes anciens élèves a utilisé avec succès la pensée résiliente en travaillant avec des municipalités suédoises, afin de les aider à faire face au changement climatique tout en abordant d’autres questions telles que la santé, l’alimentation et la préparation aux catastrophes. Auparavant, ces villes traitaient ces questions séparément, mais maintenant elles les abordent en tant que parties interconnectées d’un même système, de façon plus efficace. Cela peut être difficile à faire à l’échelle de la planète, mais mes collègues utilisent la pensée résiliente avec des villes, des gouvernements et des entreprises. En fin de compte, il s’agit à la fois de s’adapter au changement climatique et d’éliminer les émissions nettes de gaz à effet de serre simultanément, car ces deux éléments sont interconnectés — l’adaptation au changement climatique doit également réduire les émissions de carbone. Nous devons essayer une grande variété d’approches et développer toutes celles qui fonctionnent.

 

 

Cet article a été écrit dans le cadre d’une série produite pour open_resource par Sparknews, une entreprise sociale française qui vise à faire émerger des nouveaux récits pour accélérer une transition écologique et sociale à la hauteur des enjeux de notre époque.

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